Dr Valérie Auslender, auteure d'« Omerta à l'hôpital »

« Il y a une banalisation des violences »

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Publié le 06/03/2017
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LE QUOTIDIEN : Pourquoi avoir choisi le thème des maltraitances faites aux étudiants en santé ?

Dr VALÉRIE AUSLENDER : L'objectif est de briser l'omerta car le sujet reste tabou. J'ai été scandalisée par certaines violences lors de mes études médicales où j'ai observé, à maintes reprises, des maltraitances envers les étudiants – médecins, sages-femmes ou infirmiers. Il y a quelque chose d'anormal dans les études en santé : cette loi du silence et l'impossibilité pour les victimes de parler et donc d'avoir un recours. J'ai également pu observer les conséquences de cette violence sur la santé physique et psychique – crises d'angoisse, anxiété généralisée, consommation de psychotropes, dégradation de l'estime de soi, dépersonnalisation.

En 2013, l'unique enquête nationale sur les violences subies par les étudiants en médecine, réalisée dans le cadre de ma thèse, montrait que plus de 40 % d'entre eux étaient confrontés personnellement à des pressions psychologiques, 50 % à des propos sexistes, 25 % à des propos racistes. J'ai découvert que cette souffrance touchait aussi les élèves infirmiers. J'ai donc lancé un appel à témoins à grande échelle.

Qu'est-ce qui vous a le plus marqué dans les quelque 130 témoignages recueillis ?

D'abord, je n'ai pas été étonnée de ce que j'ai lu ! Cela a confirmé ce que j'avais observé lors de mes propres études. Toutefois, j'ai été choquée par l'ampleur et la gravité des maltraitances et leurs conséquences. Par exemple, certaines victimes établissent un lien direct entre les violences subies de la part de leur hiérarchie et les erreurs médicales qu'elles ont pu commettre.

Il y a surtout une banalisation de ces violences émanant de la hiérarchie, mais aussi des collègues de travail, des formateurs, etc. On trouve de nombreux témoignages portant sur le harcèlement moral, remettant en cause les capacités intellectuelles et physiques de l'étudiant, l'humiliation permanente, la décrédibilisation. À la lecture, je ne voulais plus faire marche arrière mais dénoncer ce qui se passe.

Ces maltraitances sont-elles généralisées dans les hôpitaux ?

Il n'existe pas d'études quantitatives dans les hôpitaux ; or sans cela, il n’est pas possible de généraliser. Mais à travers les récits que j'ai reçus, l'acharnement et la « prétendue incompétence » prennent le dessus.

Après la lecture de tous ces témoignages, j'ai sollicité neuf experts pour analyser et comprendre l'origine des violences et tracer des pistes de réflexion. Même si certains professionnels et formateurs ont une responsabilité directe dans cette maltraitance, elle semble trouver son origine dans les nouvelles techniques de management hospitalier privilégiant la rentabilité au détriment de la qualité des soins. Les équipes qui encadrent ont à peine le temps de s'occuper de leurs patients, donc encore moins de former les étudiants…

Quelles sont les solutions ?

Plusieurs pistes de réflexion existent. D'abord, très peu d'étudiants portent plainte. Les violences devraient être dénoncées de manière systématique et les carabins devraient avoir un lieu pour cela. Il existe un observatoire des violences pour les professionnels de santé en exercice, je pense qu'il faudrait créer un observatoire national particulier pour les étudiants. Des points d'écoute ou d'information pourraient être mis en place dans toutes les écoles et les facultés. Il faut cesser la tolérance actuelle face aux violences et aux paroles sexistes, et veiller à l'égalité hommes/femmes dans les services. 

 

Propos recueillis par Sophie Martos Certaines victimes établissent un lien direct entre les violences subies de la part de leur hiérarchie et les erreurs médicales

Source : Le Quotidien du médecin: 9561