Une nouvelle instance pour préserver l'indépendance

Le CHU de Toulouse ouvre la chasse aux conflits d’intérêts

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Publié le 18/04/2017
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HôpitalToulouse

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Crédit photo : PHANIE

Les conflits d’intérêts (ou leurs suspicions) entre médecins et industrie alimentent régulièrement les chroniques.

Dernier en date, le Pr Michel Aubier, qui sera jugé avant l’été, risque jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Auditionné par une commission d’enquête du Sénat en 2015, le pneumologue à l’hôpital Bichat avait déclaré n’avoir aucun lien d’intérêt mais ses déclarations avaient été mises à mal par la révélation des contrats unissant le soignant et le groupe Total.

Sensibilisé à ces questions d'éthique, le directeur du CHU de Toulouse, Raymond le Moign, en a fait une priorité pour son établissement. Sur le modèle de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), il vient de mettre en place une instance de prévention des conflits d’intérêts. Son objectif, instaurer un code de bonne conduite à l'heure où les soignants sont de plus en plus fréquemment sollicités par l'industrie pour la recherche, des formations...

Le Pr Jacques Lagarrigue, neurochirurgien et responsable de l’espace de réflexion éthique régionale de Midi-Pyrénées (EREMIP), s’est vu confier la présidence de cette instance. « Des groupes de travail avec des représentants administratifs du CHU, mais aussi le président de la commission médicale d'établissement, des soignants et le doyen de la faculté de Purpan, vont se réunir avec l’objectif d’aboutir à une charte de déontologie », explique le praticien.

Plus de transparence à tous les étages

Le CHU a établi cinq axes prioritaires, notamment un meilleur encadrement des activités secondaires exercées par certains praticiens hospitaliers pour des laboratoires et surtout une information publique de tout lien d’intérêt existant entre les médecins et laboratoires. « Ce n’est pas le cas aujourd’hui, concède le Pr Lagarrigue. Chacun doit prendre conscience des risques encourus. »

Le centre hospitalier souhaite aussi aboutir à une plus grande transparence concernant les contrats de recherche conclus entre les officines et l’hôpital notamment dans le cadre des visites médicales. L’hôpital a missionné sur cette question le Pr Jean-Louis Montastruc.

Le CHU souhaite avoir un droit de regard sur les associations domiciliées dans ses murs (plus d’une centaine à ce jour) et mettre en place des outils de prévention en lien étroit avec les facultés de santé de la ville. Car les étudiants en médecine sont des cibles de choix pour les industriels.

« Toute la difficulté, c’est que ces actions ne soient pas perçues comme du flicage », espère le Pr Lagarrigue qui préfère évoquer « l’intégrité professionnelle, la probité et la confiance. »

Le Pr Didier Carrié, doyen de la faculté de médecine de Toulouse-Purpan ne dit pas autre chose : « Nous ne lançons pas de chasse aux sorcières mais nous avons besoin de plus de transparence et d’indépendance vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique. Il y  a eu des abus, des dérives et ça ne peut pas continuer comme cela. » Il décrit des carabins régulièrement courtisés par les labos. « Lorsque nos étudiants choisissent leur stage d’été ou d’hiver, les laboratoires nous sollicitent  pour venir à leur rencontre à la fac à l’occasion de petits-déjeuners gratuits. Nous refusons ! Mais cela donne une idée de leur démarche. »

Sensibiliser les carabins 

La fac toulousaine veut sensibiliser ses étudiants à ces sollicitations futures des laboratoires et développer leur « esprit critique ». Des conférences d’information ont été inscrites au programme 2017-2018 mais aucun enseignement de déontologie n’a encore été ajouté au programme. « Les choses ne pourront pas se faire du jour au lendemain », estime le doyen Carrié. Pour autant, tous les praticiens enseignants à l’université devront déclarer leurs partenariats avec des industriels afin que les étudiants en soient informés. « Une première liste de déclarants sera disponible fin 2017, qui nous permettra d’analyser les dossiers de chacun beaucoup plus en profondeur afin de vérifier que nous sommes en conformité avec la charte de déontologie. »

Selon un récent classement de l'association Formindep qui mesurait le degré d’indépendance des facultés de médecine françaises vis-à-vis du secteur industriel, la faculté de Toulouse-Purpan ne décrochait qu’un point sur 26 en matière d’initiatives prises pour se prémunir des conflits d’intérêts… La marge de progression est donc immense.

De notre correspondante Béatrice Girard

Source : Le Quotidien du médecin: 9573