Hôpitaux saturés, déserts, « dictature » des comptables…

Le président de l'Ordre veut réparer le système de santé

Par
Publié le 03/05/2018
Article réservé aux abonnés
livre

livre

Le titre est alarmiste mais l'intention est là. Dans son livre* publié mercredi 2 mai, le patron de l'Ordre des médecins, le Dr Patrick Bouet, décrypte un système de santé à la dérive et plaide pour une série de réformes « maintenant ». 

Après 40 ans de « dictature des économistes », plans comptables de retour à l'équilibre et réformes administratives de l'organisation des soins (dont la création des ARS « mini-ministères de la Santé » avec leurs directeurs, « satrapes de la République »), il y a urgence, plaide le généraliste de Seine-Saint-Denis.  

Former autrement

Premier chantier : la formation initiale. Pour le Dr Bouet, il serait « raisonnable » de former 9 000 médecins par an pour répondre aux besoins de santé et renouveler les médecins diplômés dans les années 1980. Mais le numerus clausus ne suffit pas. Le membre de l'Académie de médecine plaide une logique de socle commun à toutes les professions de santé (médecins, pharmaciens, sages-femmes, infirmiers, kinés, dentistes, podologues) tout au long du premier cycle (trois ans) pour s'habituer au travail en équipe. « Un futur chirurgien doit savoir ce que c'est qu'être infirmier », peut-on lire. 

Les ECN ? Il faut en finir avec la « loterie », donc mieux prendre en compte l'acquisition des compétences (avec contrôle continu) et des apprentissages. Les régions pourraient affiner le nombre de postes par spécialité. Enfin, il faut introduire davantage de stages en médecine de ville au sein du troisième cycle et en « finir avec l'idée que le nec plus ultra est de former les médecins dans les hôpitaux universitaires ».

Les MSP, pas la martingale

Comme nombre de syndicats, le patron de l'Ordre juge que les maisons de santé ne sont pas « l'alpha et l'oméga » de la lutte contre la désertification. « Elles n'ont pas entraîné d'afflux massif de professionnels de santé dans les zones répertoriées par les ARS (...) certaines ont du fermer leurs portes après quelques mois, faute de patients », observe le généraliste. Le projet de santé doit primer avant l'élévation des murs !

Le Dr Bouet épingle les parlementaires qui, année après année, veulent contraindre les médecins à s'installer en zone fragile. Et suggère de regarder comment les médecins s'organisent en réseau efficace sur le terrain – par exemple sur le plateau des Millevaches, dans le Limousin. Surtout, les règles d'installation et d'exercice doivent être assouplies, y compris par l'Ordre lui-même. « Quelqu'un qui exerce en cabinet de groupe et projette d'aller dans une autre commune une fois par semaine doit obtenir l'autorisation », indique son président.

Sortir l'hôpital de ses murs

L'organisation de soins hospitaliers doit épouser la réalité du terrain. Il exhorte à sortir de la tarification à l'activité (T2A) qui empêche l'hôpital de se placer « au cœur de sa mission de service public ». Autre nécessité, la gradation de la prise en charge, avec trois recours : le médecin de ville, l'hôpital de proximité et l'établissement de haute technicité comme le CHU. Aux oubliettes les groupements hospitaliers de territoire (GHT) instaurés en 2016. Le Dr Bouet plaide pour des « groupements de santé de territoire », incluant cliniques et médecins de ville. L'hôpital doit à cet égard ouvrir ses services aux libéraux lorsque cela est pertinent. 

L'illusion de la gratuité

Côté accès aux soins, le généraliste aborde pêle-mêle le tiers payant généralisé obligatoire auquel il s'oppose (« on a laissé entendre que les soins allaient devenir gratuits »), la création d'un panier de soins financé par la solidarité ou encore l'indispensable « renforcement du secteur I » afin de… déshabiller le secteur II. Au passage, il salue la création de différents tarifs de consultation (valorisant le temps, la complexité) « quasiment du simple au quadruple ».   

Sur la prévention, Patrick Bouet propose une nouvelle ambition : réhabiliter la médecine du travail et la médecine scolaire « sinistrées », valoriser des consultations obligatoires de préventionconstruire un parcours structuré dont le médecin traitant serait le coordonnateur et même un réseau du « care » avec des psychologues cliniciens, enseignants, services de PMI, etc.     

Recertification valorisante

Les médecins doivent être davantage formés au numérique, alerte l'académicien. La montée en puissance des nouvelles technologies justifie la recertification des médecins. « Elle pourrait intervenir tous les six ans, serait obligatoire uniquement pour les nouveaux diplômés (...) et aurait pour le médecin un effet boost », par exemple sous la forme d'une « revalorisation de quelques euros » du tarif de consultation pour un médecin libéral ou d'une « augmentation de salaire » pour un PH !

* « Santé : explosion programmée », Éd. de l'Observatoire Humensis, 178 pages, 17 euros.

Marie Foult

Source : Le Quotidien du médecin: 9662