Le temps de travail des internes continue de dériver et de « broyer ». C'est même de pire en pire, à en croire les résultats de l'enquête* d'envergure présentée cette semaine par l'Intersyndicale nationale des internes (ISNI). Avec 58,4 heures par semaine en moyenne, les jeunes travaillent 10 heures de plus que le maximum légal théorique fixé par l'Union européenne…
Depuis 2015, le temps de travail des jeunes médecins est découpé en 10 demi-journées : 8 demi-journées de travail clinique dans le service, une demi-journée de formation dite « universitaire sous responsabilité du coordonnateur du DES » et une demi-journée de formation personnelle – soit 48h par semaine. Las, les juniors passent aujourd'hui 58,4 heures en stage, une situation qui ne fait que s'aggraver. « En 2015, le temps de travail était de 55h par semaine, la tendance est toujours à la hausse à cause du manque de personnel, un tiers des postes proposés dans les établissements ne sont pas pourvus, se désole Léonard Corti, secrétaire général de l'ISNI. On constate aussi une aggravation sur le repos de sécurité ».
Au total, plus de 70 % des internes dépassent le maximum légal. 40 % d'entre eux travaillent plus de 60h, 10 % plus de 79h ! Rapporté à la rémunération de 1600 euros net la première année, la valorisation est de « 6,8 euros net de l'heure, en dessous du SMIC horaire », cingle l'ISNI.
Les spécialités chirurgicales sont particulièrement touchées par ces dérives des plannings avec un temps de travail hebdomadaire moyen de plus de 70h, suivies des spécialités médicales cliniques (57,1h) et de la médecine générale (51,5h en stage). Aux extrêmes, les internes en neurochirurgie déclarent 82 heures par semaine, ceux en chirurgie viscérale et digestive, 77h, et les futurs obstétriciens, 69h. Seules six spécialités sont dans les clous : médecine légale et expertise médicale, psychiatrie, santé publique, médecine et santé au travail, biologie médicale et génétique médicale.
Trop d'administratif
Le non-respect du repos de sécurité est un autre problème majeur et récurrent : 29 % des internes affirment ne pas pouvoir le prendre « systématiquement » après une garde de 24 heures d'affilée. Dans les spécialités chirurgicales, c'est bien pire puisque 57 % des internes sont dans l'incapacité de bénéficier de ce repos pourtant obligatoire.
D'une manière générale, l'ISNI dénonce un « glissement des tâches ». Comme leurs aînés, les internes assument une charge administrative croissante au détriment de leur formation pratique et théorique. « Ils rédigent les comptes rendus d'hospitalisation, organisent les soins de suite en contactant les familles pour les informer du fonctionnement de l'hospitalisation à domicile, etc. Ce sont des tâches pour les assistantes sociales mais nous en manquons », déplore Léonard Corti. Résultat ? 86 % des répondants estiment passer trop de temps derrière un ordinateur…
Le temps passé en stage grignote la formation personnelle. Un interne sur deux ne prend jamais ou presque jamais sa demi-journée règlementaire hors du service pour plancher sur sa thèse ou mémoire. Le constat est à nouveau plus alarmant dans les spécialités chirurgicales où trois quarts des jeunes ne peuvent pas accéder à ce temps personnel. Le travail universitaire se fait donc à la maison sur le temps de repos…
Pour sortir de l'ornière, l'ISNI réclame un décompte « horaire » et non plus en demi-journées, seul façon d'objectiver les abus. « Il existe plusieurs outils de comptage comme le badge ou la déclaration avec vérification par les chefs, souligne Léonard Corti. Cela permettrait de relever les irrégularités au sein des services, sources de risques psychosociaux, et également d'obtenir une compensation financière ou en temps de repos, à laquelle nous n'avons pas accès. »
*Enquête réalisée par autoquestionnaire en ligne auprès de 7 353 internes (soit 25 % des 30 000 internes), entre mai et juillet 2019. La moyenne hebdomadaire à 58,4 heures a été calculée sur un échantillon de 6 003 internes.
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