Depuis plusieurs mois, le tableau s’exhibe sur deux mètres sur trois, au cœur du réfectoire de l'internat du CHU de Purpan à Toulouse. Une fresque sans équivoque, pastiche sexuel de « La liberté guidant le peuple » de Delacroix, où femmes et hommes s’affichent dans des positions sexuelles explicites. Mais dans quelques jours, cette installation sera démontée.
En cause : une représentation de la femme sexiste et humiliante, selon l’association « Osez le féminisme » qui a contacté le syndicat Sud du CHU. « Nous avons été alertés par des internes qui ne supportaient plus de déjeuner en face de cette peinture avilissante », raconte au « Quotidien » Enora Lamy, coprésidente de la section de Haute-Garonne de l’association féministe.
Samedi 23 octobre une procédure d’alerte pour « danger grave et imminent » a ainsi été déposée par Sud auprès de la direction du CHU, qui s’est engagée à décrocher le tableau carabin. La direction a également jugé la fresque « contraire à la dignité humaine ». « Lorsque je l'ai vue, mon sang n’a fait qu’un tour, je suis effarée, raconte Isabelle Prono, aide soignante au CHU de Toulouse et déléguée syndicale Sud. Ce type d’images pornographiques, dégradantes, n’ont pas leur place dans un CHU, ni nulle part d’ailleurs ».
En 2018 déjà, une fresque représentant une scène d’orgie, dans la même cantine toulousaine, avait été retirée. « La nouvelle fresque est encore plus dégradante que la précédente… souffle Enora Lamy, On y voit une petite fille en couette à quatre pattes, manger des ordures, des femmes et des hommes en laisse ».
Une fresque "sexiste" dans la cantine de l'internat de Purpan, le CHU en ordonne le retrait https://t.co/Y3cDUKEdaH pic.twitter.com/xh52oJpEr6
— France Bleu (@francebleu) October 25, 2021
Interdire les fresques ?
Sexiste, intolérable, obscène… Depuis 2015, les fresques d’internat, profondément ancrées dans la culture carabine, ne passent plus. Cette année-là, en pleine contestation sur la loi Touraine, les internes du CHU de Clermont-Ferrand avaient dépeint Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, au cœur d’un viol collectif. Et avec pour seule légende, des bulles de texte sans équivoque : « Tiens, la loi santé !!! », « Prends la bien profond !! ». La publication de cette fresque sur les réseaux sociaux avait suscité l’indignation, le Conseil de l’Ordre avait notamment condamné un dessin « représentant une agression sexuelle ». La salle de garde avait fini par être recouverte de peinture blanche.
Depuis, ce folklore carabin est devenu de plus en plus inacceptable. « Le mouvement #MeToo est passé par là, la parole des femmes s’est libérée », analyse Enora Lamy. Et, alors que 23 % des étudiants en médecine déclarent avoir été victimes de harcèlement et 4 % d’agressions sexuelles, les peintures grivoises « participent à une ambiance délétère au sein des CHU », estime la militante. « Les internes veulent simplement pouvoir se restaurer dans des conditions normales, saines, sans être confrontés à une banalisation des agressions sexuelles », ajoute-t-elle. Avec l’association Osez le féministe, elle souhaite que toutes les fresques à caractère sexiste, homophobe ou raciste soient interdites, « que ce soit écrit noir sur blanc dans le règlement général du CHU ou sur la convention que signent les internes avec l'hôpital pour occuper les lieux ».
Rien de drôle
Les pratiques de salle de garde et les fresques murales datent du XIXe siècle et sont avancées par leurs défenseurs comme une parade symbolique contre la mort et la maladie. Néanmoins, « il y a un changement culturel qu’il faut conduire en médecine, a jugé Olivier Véran mercredi dernier, à l’occasion d’un colloque sur la santé mentale des étudiants. Certes, la tradition carabine pourrait être une sorte d’exutoire collectif, mais il faut aussi dire qu’il y a des pratiques borderline. Aujourd’hui la parole se libère ». Un avis que partage Enora Lamy : « il y a beaucoup d’autres exutoires que de ridiculiser et avilir les femmes ». D’autant plus que « ce genre de fresque peut légitimer des comportements au sein de services, des mains aux fesses, de blagues salaces, estime-t-elle. Les femmes n’en peuvent plus de l’esprit carabin, il n’y a rien de drôle, et encore moins de subversif ! ».
Un plan d’actions contre les violences sexistes et sexuelles est en cours de réflexion au sein du CHU de Purpan. « Il faudra que les chefs de service et les cadres se positionnent et réaffirme que les comportements sexistes n’ont rien à voir avec les valeurs du serment d’Hippocrate », soutient Mme Lamy. Pour l'heure, la fresque murale est toujours en place, malgré les engagements écrits de la direction. « On ne va pas lâcher, nous n’hésiterons pas à aller devant la justice si elle n’est pas décrochée », insiste Isabelle Prono.
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