« Si cette mesure passe, certains patients pourraient ne plus jamais consulter d’ophtalmologiste de leur vie », lance le Dr Ludovic Le, président de l’Association Nationale des jeunes ophtalmologistes (ANJO). C'est pourquoi cette organisation, associée au Syndicat national des ophtalmologistes (Snof) et à l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI), a décidé de déposer un préavis de grève au goût inédit. Du 22 au 31 octobre, internes, ophtalmos hospitaliers et libéraux sont appelés à faire grève pour demander le retrait pur et simple de l’article 40 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2022.
En effet, depuis la présentation budget de la Sécu, les ophtalmos sont en rage contre cette mesure qui délègue totalement la prescription de lunettes et de lentilles aux orthoptistes. Alors qu’actuellement une ordonnance de lunettes est valable, au maximum pour 5 ans, « désormais les orthoptistes pourraient prescrire des lunettes en totale autonomie, sans que le patient ne retourne voir un ophtalmo », détaille le Dr Le. Le PLFSS prévoit également de déléguer à ces paramédicaux « le dépistage de l’amblyopie chez les enfants 9 à 15 mois et des troubles réfractaires chez les enfants âgés de 30 mois à 5 ans », indique le jeune ophtalmo.
Ce sera donc « une grève courte et dure », estime Ludovic Le, « avec fermeture totale des services, hors urgence ». Effectivement, selon un sondage réalisé par l’ANJO, 95 % des ophtalmologistes et internes se disent prêts à faire suivre ce mouvement, reconductible. Un sit-in est prévu le 22 octobre, jour où le PLFSS doit commencer à être examiné en séance à l'Assemblée nationale, devant le ministère de la Santé pour réunir spécialistes et étudiants de toute la France.
Depuis quelques jours, les internes sont également invités à boycotter leur choix de stage pour le prochain semestre. Strasbourg, Lille, Caen, Nice, Rennes… Dans une dizaine de villes déjà, les futurs ophtalmos ont refusé de faire un choix. Une contestation assortie d’un courrier aux agences régionales de santé qui explique les raisons du refus et précise que les internes « mettront fin à tout mouvement après le retrait de ces mesures ».
« Désorganiser toute la filière »
Si les ophtalmos sont en grogne, c’est que « l’immense majorité des patients consultent pour des lunettes, et c’est à cette occasion que nous pouvons réaliser des tests de dépistage, pour un glaucome ou un rétinoblastome par exemple », rappelle le président de l’ANJO. En ventilant une partie de cette patientèle vers les orthoptistes, le Dr Le craint ainsi « que les patients ressortent faussement rassurés ». Et d’ajouter : « j’ai l’impression que les pouvoirs publics réduisent l’examen ophtalmologique à la prescription de lunettes, en oubliant complètement l'aspect prévention. Pourtant la France est l’un des meilleurs pays d’Europe en termes de dépistage du glaucome ».
Du côté de l'exécutif, le projet de loi s’ancre dans le transfert des compétences et se targue « d’améliorer l’accès aux soins visuels ». Le gouvernement met ainsi en avant une étude de la Drees, le service des statistiques du ministère de la Santé,réalisée en 2018, qui estime à 80 jours, le délai moyen d’attente pour un rendez-vous chez un ophtalmo.
« Ces chiffres sont obsolètes ! Désormais le délai médian est de moins d'un mois », avance Ludovic Le, en référence à l'enquête publiée par le Snof la semaine dernière. Les représentants de la profession craignent même que cette délégation de tâches n’aboutisse paradoxalement à un rallongement des délais. « Ça va désorganiser toute la filière… Si les orthoptistes font des lunettes, ils auront moins de temps pour la rééducation », suppose-t-il.
Les ophtalmos sont d’autant plus amers qu’ils sont habitués depuis plusieurs années au travail aidé, assisté par des orthoptistes. « Et ça se passe bien, on adore travailler avec eux, mais je crains que ça crée de la tension entre nous », admet le Dr Le, qui regrette que la mesure fasse sauter la validation médicale, au cœur de la coopération entre orthoptiste et ophtalmo. « C’est un peu comme si on demandait à un manipulateur radio d’analyser un scanner », illustre-t-il.
Droit au remords
Si l’article était adopté tel quel, 59 % des internes disent être prêts à faire valoir leur droit au remords et à changer de spécialité. « Ce serait une perte terrible pour l’avenir », se désole le président de l’ANJO qui regroupe 1 500 internes et jeunes ophtalmos. Une quinzaine d’amendements de suppression de cet article ont déjà été déposés, ce lundi.
D’autres députés proposent, comme Cyrille Isaac-Sybille, secrétaire de la commission des affaires sociales et député MoDem, que cette délégation de tâches ne soit réalisée que dans des zones sous-dotées, fixées par les ARS. Ou encore « à titre expérimental et pour une durée de trois ans », selon un autre amendement déposé par le MoDem. Thomas Mesnier, rapporteur général LREM du budget de la Sécu, a indiqué au « Quotidien » lundi qu'il ne porta pas l'idée d'une expérimentation de cette délégation de tâche mais travaille « en revanche, un amendement visant à encadrer la mesure ». Le PLFSS sera examiné par le député, en commission, à partir de mercredi.
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