« J’ai préféré partir plutôt que regretter toute ma vie » : Louis, étudiant en médecine en Belgique, témoigne de « l’injustice » du système français

Par
Publié le 10/01/2024
Article réservé aux abonnés

Crédit photo : Louis Kelbert

En 2020, Louis Kelbert, aujourd’hui âgé de 21 ans, a fait partie de la première promotion d’étudiants à avoir expérimenté la réforme (très contestée) de l’accès aux études de médecine qui a remplacé l'ancienne PACES (première année commune aux études de santé) par deux nouvelles filières : la PASS (parcours d'accès spécifique santé) et la L.AS (licences avec accès santé).

Originaire d’une commune située près de Mulhouse, le jeune homme qui étudie aujourd’hui en Belgique, intègre dès la sortie de son bac une filière PASS à Strasbourg avec une mineure en biologie. Comme de nombreux jeunes désireux d’embrasser la carrière de médecin, il travaille ardemment toute l’année dans l’espoir de franchir le cap de la très sélective deuxième année. Il obtient finalement une moyenne annuelle de 15,14. « Je me suis dit “c’est plutôt bien” sans toutefois exploser de joie car ça reste un concours et, sans avoir le classement, il est difficile de se situer par rapport aux autres », se remémore l’étudiant, dont la note ne suffit pour faire partie des 10 % de candidats admis d’office, épargnés des épreuves orales.

Oral « déroutant »

Loin d’être découragé, Louis se met alors à potasser les oraux qui comptent, à Strasbourg, pour 50 % de la note finale. Ces oraux sont composés d’une épreuve d’analyse de document iconographique (25 %) et d’une autre partie sur le projet professionnel (25 %).

Le jour J, le jury lui propose d’interpréter une gravure du XIXe siècle intitulée Death Dispensary. « En voyant l’œuvre, j’étais plutôt content. J’aime bien l’histoire de cette époque. C’est le début de la bactériologie, il y a beaucoup de choses à raconter… », se dit-il sur le moment. Vient ensuite le moment de la présentation au jury : cinq minutes d’analyse. « En résumé, j’ai expliqué qu’il s’agissait d’une représentation du choléra, car on voit sur la gravure un squelette qui pompe de l’eau pour une famille ».

Puis cinq minutes de questions/réponses. Et c’est là que l’histoire se gâte. « À ce moment-là, le jury m’a posé des questions un peu étonnantes. On m’a demandé si je pensais qu’il manquait des membres à la famille représentée sur la gravure et pourquoi l’homme représenté buvait l’eau dans une coupelle attachée à la pompe ? Sur le coup, je n’avais aucun élément tangible à apporter à ces questions, j’étais un peu décontenancé », se souvient-il.

Rétrogradé à la 200e place

Quelques semaines après, Louis obtient ses résultats finaux. Plus de 15 aux écrits, 15 à l’oral de motivation et 6 à l’oral d’analyse iconographique, note qui le relègue de la 54e à la 200e place et qui l’exclut, de fait, du numerus apertus, l’éloignant ainsi de son rêve de devenir médecin… « J’étais dépité et surtout fatigué de mon année. En discutant avec des camarades, je me suis rendu compte que certains qui avaient eu 11 ou 12 de moyenne à l’année avaient été acceptés en deuxième année grâce à des très bonnes notes aux oraux ».

Une injustice à ses yeux qui le pousse à se rapprocher de collectifs — notamment le collectif PASS L.AS 21 – constitués pour contester les modalités d’accès en deuxième année. En plus d’être opposées à la réforme du 1er cycle des études de médecine, ces associations pointent la possible rupture d’égalité entre les candidats dans le cadre des épreuves orales et s’opposent à la possibilité pour les facultés d’accorder à cette épreuve jusqu’à 70 % de la note finale.

Rencontre avec le jury

À l’été 2021, lesdits collectifs – qui avaient aussi saisi le Conseil d’État pour contester le nombre de places accordées aux étudiants des deux nouvelles filières PASS et L.AS — obtiennent gain de cause. La haute juridiction administrative impose à 15 universités – dont celle de Strasbourg – d’augmenter leurs capacités d’accueil. « Cela m’a permis d’avoir pharmacie », explique Louis.

Au cours de son année de pharma, Louis, bien déterminé à comprendre les raisons de son échec de l’an passé, s’entretient avec un des membres de son jury à l’occasion d’une rencontre organisée de son initiative. « L’enseignant m’a dit texto que cet oral avait pour but de sélectionner, qu’il fallait donner une note à la machine et que la pondération ferait le reste. En fait, il m’a expliqué que les jurys avaient donné des notes soient très bonnes soit très mauvaises, sans que cela soit vraiment représentatif, pour que l’oral ait une vraie incidence sur le classement final ». Une méthode appliquée dans plusieurs universités, qui comme le rappelle Emmanuel d’Astorg, président du collectif PASS L.AS 21, « a privé de nombreux excellents élèves de faire médecine et poussé d’autres à tenter leur chance à l’étranger ».

Départ en Belgique

Décidé à suivre son objectif initial, Louis opte finalement pour cette dernière option. En juillet 2022, il passe un concours en Belgique – auquel 6 000 candidats participent – pour intégrer l’université libre de Bruxelles en filière médicale. Un succès. Il fait partie des 99 candidats sélectionnés sur plus de 2 700 dossiers français.

Après une première année passée sans encombre, l’étudiant est aujourd’hui en deuxième année. « C’est sûr que ça a été un net changement, ce départ m’a éloigné de mes proches et de ma famille. Quand c’est imposé, c’est forcément moins facile. Mais j’ai préféré partir plutôt que regretter toute ma vie, c’était la seule solution », explique-t-il.

Exit l’amertume, Louis veut désormais aller de l’avant. « Finalement, je m’en sors plutôt bien », résume-t-il. Pour lui, la récente décision du Conseil d’État – qui réclame au gouvernement de revoir sa copie concernant les modalités d’accès en deuxième année – sera l’occasion de « corriger le tir pour les prochaines promotions ». « C’est indéniablement une victoire, on aura fait ce travail pour les futures générations ! », souhaite-t-il ainsi résumer. Le 17 novembre 2023, le tribunal administratif (TA) de Strasbourg a officiellement reconnu l’illégalité des épreuves orales de 2021 dans le dossier de Louis, qui avait saisi la justice à ce sujet. Cette histoire lui aura tout de même fait perdre deux années d’études…


Source : lequotidiendumedecin.fr