Intérim médical/la réaction des médecins

Jean-François Cibien (APH) : « Loi Rist, je ne souhaite pas jouer un Tetris sanitaire »

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Publié le 16/03/2023
Avec la fin de l'intérim médical rendu opposable par la loi Rist à partir du 3 avril prochain,  Actions Praticiens Hôpital craint une fermeture importante des services dans les petits établissements, avec une obligation pour les praticiens de venir renforcer les équipes de l'établissement support. Ce dernier va devoir supporter un nouvel afflux de patients. Explications.
Dr Cibien

Dr Cibien
Crédit photo : DR

Pourquoi êtes-vous contre l'application de la loi Rist en l'état, qui impose de supprimer le mercenariat médical à l'hôpital ?

Nous sommes contre le mercenariat, à savoir le fait de pratiquer de l'intérim médical à l'hôpital avec des tarifs déraisonnables. Mais l'intérim permet d'avoir un volant de praticiens, c'est-à-dire une latitude pour que les PH en poste puissent prendre des vacances ou se former. Sinon sans intérim, certains services ou établissements pourraient fermer. Pendant la période Covid, nos collègues libéraux étaient rémunérés entre 105 et 115 euros de l'heure pour venir travailler à la vaccination. Ils perçoivent aussi entre 100 et 150 euros net de l'heure pour exercer en régulation médicale avec des avantages fiscaux 70 jours par an. Certes nous avons peut-être des collègues mercenaires, mais c'est une minorité. La réalité est que c'est aussi la course à l'échalote entre certains directeurs pour faire monter les enchères, afin que LE spécialiste vienne exercer dans leur établissement.

Que reprochez-vous aux pouvoirs publics dans l'application de cette mesure ?

Nous demandons à remettre tout à plat, à savoir que les administrations se mettent d'équerre avec la décision du Conseil d'Etat de juin dernier en nous réglant les heures qu'elles nous doivent. Car un PH au-delà de 48 heures par semaine est payé 25 euros net de l'heure, soit en dessous de son salaire de base. Pire, entre 39 et 48 heures il n'est pas payé du tout, soit 9 heures offertes à l'Etat chaque semaine. Je ne veux pas défendre le mercenariat. Ce que je veux, ce sont des équipes stables, avec des praticiens rémunérés à la juste valeur de leur engagement pour l'hôpital public et pour un accès aux soins de qualité et en sécurité sur l’ensemble du territoire.

Que craignez-vous si la mesure est appliquée ?

Lundi 13 mars, nous avons eu une réunion en commission régionale paritaire pilotée par le directeur général de l'ARS, où se réunissent les représentants syndicaux de PH à part égale avec nos collègues de l'administration. Les ARS sont en train de demander aux praticiens (titulaires et contractuels) en poste dans ces petits établissements de fermer leurs unités et de venir renforcer l'hôpital pivot. Ces derniers se verront proposer une prime supérieure à celle versée aux intérimaires. Résultat, quand ils vont venir exercer, cela va être compliqué surtout pour les gardes, car ils ne connaissent pas la structure. Cela n'est pas toujours simple non plus de faire basculer les patients ayant des pathologies graves de l'établissement pivot vers le CHU ou les grosses cliniques. Nous ne sommes pas là pour jouer à un Tetris® sanitaire.

Quel est le risque réel pour un établissement de perdre ses praticiens ?

Prenons un exemple d'un hôpital dans le Lot et Garonne qui tourne avec 70 % d'intérimaires médicaux (source : ARS Nouvelle Aquitaine) toutes structures confondues. Les autres praticiens de cet établissement sont des PH de type 2, à savoir des anciens cliniciens. Demain si la loi Rist est appliquée, le directeur de cet hôpital verra 70 % de ses praticiens partir. Où vont aller les malades ? Ils vont aller se rajouter à ceux de l'hôpital pivot déjà à flux tendu.

Qu'attendez-vous du ministère de la Santé ?

Nous souhaitons un état des lieux. Nous demandons que le temps de travail soit rémunéré à sa juste valeur. Enfin, concernant la permanence des soins qui est du ressort presque exclusivement du secteur hospitalier, nous demandons une juste rémunération de la permanence des soins, à savoir entre 50 et 100 euros de l'heure, bref que ce temps de travail soit reconnu que nous soyons en garde ou en astreinte. Prenons un autre exemple d'un CHR qui rémunère ses aides-soignantes de 400 à 600 euros les 12 heures de garde, les infirmières de 800 à 1 200 euros et les médecins moitié moins que les infirmières, avec en plus une amplitude de 24 heures. Au bout d'un moment, le rationnel devient défaillant dans ce pays. Autre scandale, Olivier Véran nous avait promis la suppression du statut des PH cliniciens de type 2, une promesse non tenue. Or il s'agit là d'une forme d'intérim déguisée. Ces collègues gagnent le double de nous, et parfois en faisant moins de gardes et en ayant moins de responsabilités que nous. Il est temps de remettre tout à plat.

Enfin, APH propose au ministère en plus de la juste valorisation de la permanence des soins que les praticiens qui acceptent de travailler au-delà de leur obligations de service, soit au maximum 48 heures hebdomadaires, puissent bénéficier de la prime d’exercice territoriale (PET), même s’ils font du temps de travail additionnel dans leur service ou leur hôpital.

 

 

 


Source : lequotidiendumedecin.fr