LE QUOTIDIEN : Pourquoi ce rapport est-il si important à vos yeux ?
Pr GÉRARD REACH : L’émergence du patient partenaire est une évolution sociétale majeure, un changement de paradigme et je suis ravi que l’Académie de médecine s’engage à promouvoir ce concept, notamment auprès des étudiants en médecine. Notre groupe de travail au sein de la commission 7 s’est attelé pendant deux ans à ce sujet.
Cette révolution a commencé lors des années sida, lorsque les patients se sont regroupés en associations et ont eu une influence majeure sur la reconnaissance de leur vécu et le développement de la recherche. Puis la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, la « loi Kouchner », a créé le concept de citoyenneté et entériné celui de consentement informé. Les lois suivantes, Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) en 2009, puis celle de modernisation de notre système de santé en 2016 et celle de 2019 dite « Ma santé 2022 » ont renforcé le rôle des patients partenaires. Cette ouverture doit encore être reconnue, soutenue et renforcée.
Pr PHILIPPE JAURY : Cela correspond à une attente des patients et des étudiants en médecine. Mais il y a encore quelques réticences, par méconnaissance : certains médecins ont l’impression – à tort – que les patients vont venir contester leur choix de scalpel en salle d’opération.
Pourquoi préférer le terme de patients partenaires à celui de patients experts ?
G. R. : Le terme « expert » nous semble clivant car il laisse entendre que deux expertises s’opposent. Or il s’agit plutôt d’expériences et de savoirs différents. La légitimité des professionnels est évidente et découle de leur savoir. Celle des patients tient à l’expérience d’une vie avec la maladie, entendue comme « illness » (terme anglais qui met l’accent sur le vécu) plutôt que « disease » (la pathologie traitée). Il ne faut pas oublier les aidants parmi les patients partenaires ; ils sont aussi en contact avec la maladie.
Le concept de patient partenaire désigne un partenariat où les uns et les autres utilisent leur savoir pour optimiser le soin. C’est aussi le terme retenu par la Direction générale de l’offre de soins et le Conseil de l’Ordre des médecins. Nous sommes au cœur de l’humanité de la médecine, qui repose sur la rencontre entre une personne soignante et une personne soignée.
Les patients partenaires font bénéficier les patients de leur expérience et parlent autrement de la maladie
Pr Gérard Reach
Vous distinguez quatre champs d’implication des patients partenaires. Pouvez-vous tout d’abord nous parler de celui des soins ?
G. R. : Dans le cadre de l’éducation thérapeutique (ETP), les patients partenaires, qu’on appelle alors « pairs aidants », font bénéficier les patients de leur expérience et parlent autrement de la maladie. Les anciens addicts peuvent partager leur cheminement ; des patients en rémission accompagnent ceux à qui l’on annonce un cancer ; une personne amputée peut montrer comment elle est appareillée et ce qu’elle parvient à faire. Les chirurgiens cardiaques font appel aux patients partenaires pour aider leur patientèle à accepter des thérapeutiques telles que la mise sous assistance cardiaque externe.
P. J. : Les patients partenaires ont des choses à dire, qui restent inaccessibles au médecin : le vécu de la maladie et de la relation avec le corps médical. Ils n’apportent pas seulement un témoignage. Ils devraient participer aussi à la construction et au fonctionnement du programme d’ETP. Pour ma part, je les considère comme complémentaires : travailler avec l’association Vie libre est précieux face aux patients souffrant d’un trouble de l’usage de l’alcool.
Écouter les patients partenaires change les représentations des médecins
Pr Philippe Jaury
De quelle manière les patients partenaires participent-ils à la formation des soignants, votre deuxième axe ?
G. R. : Ils peuvent intervenir dans des enseignements dirigés, aux côtés des enseignants, de manière que ceux-ci ne se retrouvent pas en difficulté face à des étudiants qui peuvent parfois les « challenger ». Ils contribuent aussi à l’écriture des scénarios de jeux de rôle et des grilles d’évaluation, dans le cadre des examens cliniques objectifs et structurés (Ecos). Une manière de rappeler aux futurs professionnels qu’ils soignent des personnes qui ont des maladies, pas seulement des maladies. Les programmes se construisent de plus en plus dans un échange entre enseignants et patients. Les doyens ont un rôle essentiel pour soutenir cet élan.
P. J. : Il y a une quarantaine d’années, j’ai fait intervenir des patients à un cours sur des questions de toxicomanie. L’addictologie n’existait pas encore. Ils m’ont tout appris : j’ai mieux compris leurs problèmes et leur souffrance, leur sentiment d’être stigmatisés par les pharmaciens et les médecins. Nombre de professionnels pensent encore que l’addiction est un manque de volonté et sont dans la directive ou l’injonction. Écouter des patients partenaires permet de faire changer les représentations des (futurs) médecins. Idem pour lutter contre la grossophobie : les étudiants prennent mieux conscience de ce que vivent leurs patients quand l’un d’eux raconte n’avoir pas supporté d’être pesé chez le médecin.
Comment peuvent-ils être co-chercheurs ?
G. R. : Leur rôle s’est longtemps limité à vérifier que les documents de consentement étaient lisibles. Désormais, ils participent à leur écriture et, au-delà, à la définition des priorités et des protocoles de recherche. Les projets doivent mentionner leur rôle dans la construction, la réalisation et la restitution et diffusion des résultats. Attention toutefois à ne pas en faire un alibi pour s’acquitter d’une obligation légale. La présidente de l’Académie, la Pr Catherine Barthélémy, spécialiste des troubles du neurodéveloppement (TND), a assuré qu’elle était toujours accompagnée d’un patient partenaire lorsqu’elle devait présenter ses travaux devant une instance officielle. D’ailleurs, certains d’entre eux sur le sommeil et l’insomnie dans les TND ont été suggérés par les patients eux-mêmes.
L’Inserm a joué un rôle crucial pour la recherche participative en créant des instances telles que la Mission association, recherche et société (Mars), le Groupe de réflexion avec les associations de malades (Gram) et le Groupe de réflexion des associations de personnes concernées pour la science (Graps).
Dernier champ d’implication, les associations. Quel est leur rôle dans le système de santé ?
G. R. : Elles servent à défendre les droits des patients, en réponse à un désir de reconnaissance de leur pleine citoyenneté, mais pas seulement. Elles contribuent aussi à faire connaître l’existence des maladies, je pense bien sûr aux maladies rares et au Téléthon.
Le risque principal tiendrait à un patient partenaire autoproclamé, sans aucune formation
Pr Gérard Reach
Les patients partenaires doivent-ils être formés ?
P. J. : Oui, ils doivent recevoir une formation avec un cahier des charges en adéquation avec la fonction qu’ils souhaitent remplir, pour dépasser le simple témoignage. Ces formations peuvent être dispensées à l’université – Catherine Tourette-Turgis a ainsi fondé en 2010 l’Université des patients à la Sorbonne et le modèle s’est dupliqué – ou dans des associations comme la Fédération française des diabétiques, l’association France patients experts addictions ou encore l’Alliance maladies rares… Il n’y a pas de modèle unique de formation, il faut de la souplesse.
Nous insistons aussi sur l’importance d’une charte que les patients partenaires pourraient signer, s’engageant ainsi à respecter trois principes : la formation initiale et continue, la responsabilité, la confidentialité. La reconnaissance de leur statut dans le parcours de soins s’accompagne de droits et de devoirs. Le patient partenaire est tenu au strict respect du secret médical, quand bien même il n’a pas accès aux dossiers médicaux.
G. R. : Le risque principal tiendrait à un patient partenaire autoproclamé, sans aucune formation. Un contrôle doit être garanti par des associations agréées ou des instances indépendantes. Travailler dans le cadre d’une unité transversale d’éducation thérapeutique du patient (Uteep) est une garantie. Ensuite, chaque séance d’ETP ou d’enseignement doit être préparée ; préparation au cours de laquelle le patient décide de la façon dont il veut être présenté et de ce qu’il veut dire de sa pathologie.
Vous laissez aussi ouverte la question de leur rémunération…
G. R. : C’est sûrement le sujet que nous avons le plus débattu. Première évidence : ils doivent être au moins remboursés des frais avancés et avoir des facilités, par exemple une place sur le parking d’un hôpital.
Ensuite, quand ils passent un temps pérenne dans des actions d’ETP ou d’enseignement, comment ne pas envisager une rémunération ? Il peut être problématique que ces acteurs soient les seuls à n’être pas rétribués au sein d’une équipe d’ETP. L’hôpital de Bobigny a ainsi engagé une patiente pour son unité transversale d’éducation et d’engagement du patient (Uteep), comme médiateur de santé-pair. D’un autre côté, les associations tiennent au bénévolat.
Encore une fois, il me semble que la souplesse doit être de mise. Ouvrons la réflexion : sur quel fond un hôpital peut-il financer de telles interventions ? Faut-il recourir aux heures supplémentaires prévues dans le budget de fonctionnement des départements universitaires ?
Dans tous les cas, il faut veiller à ce que les patients partenaires gardent leur authenticité, même s’ils sont recrutés par une agence régionale de santé.
P. J. : Garder l’authenticité malgré la professionnalisation s’apprend !
Repères
2002
La loi du 4 mars relative aux droits des malades crée le concept de citoyenneté en santé
2009
La loi HPST installe les commissions des usagers et propose que l’accès à l’éducation thérapeutique soit un droit pour tout malade chronique
2010
Création de l’Université des patients par Catherine Tourette-Turgis
2016
La loi du 26 janvier de modernisation du système de santé acte la notion de projet de soins partagé
2019
« Ma santé 2022 » intègre le patient comme acteur de la formation et de l’évaluation des futurs professionnels
2020
Recommandations de la Haute Autorité de santé « Soutenir et encourager l’engagement des usagers », complétées en 2023
2024
Publication de rapports de la DGOS et de l’Ordre sur le patient partenaire
Rapport Patients Partenaires ( REACH Gérard, JAURY Philippe)
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