On imagine mal un obstétricien accoucher sa sœur ou une femme chirurgien opérer son fils mais le médecin généraliste est, lui, régulièrement sollicité par ses proches. Pour un conseil, un vaccin, un suivi, un certificat de non contre-indication à la pratique d'un sport ou une urgence traumatique bénigne, famille ou amis semblent peu gênés de demander : « Juste… tu peux regarder » ?
Dans de nombreuses circonstances, le médecin prend aussi naturellement lui-même en charge au quotidien la santé de ses enfants ou de ses proches jusqu’à être parfois leur médecin traitant.
Pourtant, des questions subsistent : « 56 % des généralistes pensent qu’il ne faut pas soigner ses proches mais 96 % le font quand même », souligne Virginie Wallerend dans sa thèse de médecine soutenue à Caen en 2009, intitulée "Quand le médecin généraliste soigne sa famille". Plusieurs thèses de doctorat et revues de la littérature se sont intéressées à ce sujet permettant d’envisager les enjeux d’une telle démarche pour les jeunes médecins (1).
C’est naturel
Pour de nombreux praticiens, la question ne se pose pas. C’est une histoire de reproduction du schéma familial et de l’idée même du médecin de famille ; c’est tout simplement une évidence, on est le médecin de ses proches.
Cependant beaucoup de généralistes définissent naturellement un cadre, répondant aux sollicitations de leurs proches simplement parce qu’elles restent dans le champ de la bobologie ou qu’elles sont occasionnelles. Il n’y a pas d’enjeux majeurs et c’est un service amical rendu, pensent-ils !
Bien sûr, il y a aussi des situations où l’urgence vitale impose la prise en charge immédiate par le médecin généraliste qui passe la main dès que le patient a été pris en charge par les secours.
Une autre raison permet d'expliquer l’intrication de la vie professionnelle dans le champ du privé, la simplicité avec laquelle la personne peut être prise en charge sur mesure par le membre de sa famille.
Le médecin peut y trouver son compte pour contrôler par exemple les prescriptions (peu ou pas d’antibiotique). Mais souvent, à part pour leurs propres enfants, ces généralistes n’iront pas plus loin, ne souhaitant pas forcément devenir le médecin traitant de leurs proches.
Cela dépend aussi de la personnalité de chacun. Il y a le médecin qui cède souvent ; celui sensible au regard des autres ou celui qui se laisse guider par son amour-propre et accepte de répondre aux sollicitations, souligne J Peltz-Aim dans sa thèse de médecine (2). Dans son costume de « docteur », le parent assure un rôle social qui n’est pas forcément pour lui déplaire !
Les limites de l'exercice
Les consultations auprès des membres de sa famille, souvent réalisées de manière informelle, ont leurs limites. Manque d’organisation, absence d’instruments de mesure sous la main, avis donnés à la va-vite et qui manquent de précision... les conditions de suivi des proches, ne sont pas forcément idéales ! Et puis, « si nous avons la capacité médicale de soigner nos enfants, sommes-nous réellement capables de les prendre en charge de façon optimale ? », s’interroge Justine Goubet dans sa thèse de doctorat en médecine soutenue en 2016 : « Le médecin généraliste face à la santé de ses enfants : peut-on soigner ses enfants ? ».
En effet, le manque de recul et l’envahissement émotionnel impactent les attitudes et postures. Comment réagir face à certains examens ? Comment gérer la douleur de ses proches ? Ou encore comment appréhender les gestes de pudeur à l’adolescence ou gérer un mouvement de rejet ? Les rapports familiaux, parents-enfants, ou amicaux brouillent les pistes.
Le manque de neutralité et de jugement face à la douleur d'un proche peuvent aussi et altérer le jugement de la gravité d'une situation et induire une grande culpabilité chez le praticien, l’installant dans une posture très inconfortable.
« Dès lors qu’on reste dans le soin courant, le médecin assure. Ensuite, passer la main à un confrère dès que l’appréciation de la situation sort des limites de la banalité, c’est cerner efficacement son objectivité, » affirme le Dr André Deseur, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom).
Il ne faut pas aussi mésestimer les désagréments que peut occasionner la prise en charge de proches insatisfaits. L'Ordre est régulièrement interpellé par des patients mécontents de la « qualité des soins » apportés par un médecin de leur famille !
Et dans ces situations, « les patients ont conscience, de façon intuitive et empirique, que les liens affectifs et familiaux n’apportent que des complications au jeune médecin quand celui-ci soigne », conclut Mélanie Mons dans sa thèse de médecine (3).
Que dit le code de déontologie ?
Si Hippocrate disait, « le médecin s’engage à prodiguer ses soins à l’indigent et à quiconque le lui demandera (…) et préservera l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de sa mission », la loi n’ajoute aucune contradiction à la pratique d'un acte à l'attention d'un membre de sa famille. Le Code de déontologie rappelle que, « le médecin doit soigner en toutes circonstances et avec la même conscience toute personne, quelle que soit sa situation ». Cependant l’article 7 du code de déontologie médicale rapporte que, « l’objectivité nécessaire à l’action du médecin s’accommode mal de sentiments subjectifs ».
Le Dr André Deseur conclut en proposant l’appui du compagnonnage pour aider le jeune médecin à prendre du recul et se remettre en question face à la demande de proches : « Il s’agit de chercher toujours et encore plus d’objectivité dans l’analyse face aux faits » !
A.C.
(1) Marion Béguin. Synthèse de la littérature sur les réponses à apporter en tant que médecin à une demande de soins venant d'un de ses proches. Thèse, 2013.
(2) Jennyfer Peltz-Aim. « Comment les médecins se positionnent-ils vis-à-vis des maladies de leurs proches ? » Thèse de médecine. 2012.
(3) « Nos proches perçoivent mal la nature de nos difficultés à les soigner ». Mélanie Mons. Thèse de médecine soutenue à Tours le 30 mai 2017.
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