Les firmes investissent 80 % de leurs dépenses marketing pour aller à la rencontre des médecins. Preuve que cela fonctionne, 48 % des médecins généralistes hommes interrogés dans une récente étude(1), font appel à la visite médicale en face-à-face pour s’informer. Les femmes généralistes n’y auraient recours que pour 19 % d’entre elles, préférant les sources d’information digitales (sites internet des autorités de santé, sites spécialisés hors laboratoires), les congrès et autres formations indépendantes. Mais, face à une surabondance d’information digitale et papier, le recours aux délégués médicaux représente une solution de facilité, étant moins chronophage que d’assister à un congrès.
Garder un esprit critique
« De nombreuses études confirment l’influence de la visite médicale sur nos prescriptions, explique le Dr Barbara Trailin, vice-présidente du syndicat ReAGJIR. Nous restons humains avant tout, donc forcément influençables. Et sous couvert de nous informer, les visiteurs médicaux diffusent des messages publicitaires. »
Les firmes disposent d’un arsenal d'outils marketing bien rodés pour la promotion de leurs produits et le risque de perte d’indépendance dans la prescription médicamenteuse est réel. L’étude FNIM-BVA, le confirme : pour 52 % des généralistes de plus de 55 ans, les laboratoires pharmaceutiques représentent le vecteur d’information médicale qui influence le plus leur pratique. « Bien sûr, chacun fait ce qu’il veut dans son cadre professionnel. Mais il doit le faire en pleine connaissance de cause, car on est forcément influencé, prévient le Dr Laurence Dahlem, jeune généraliste installée en périphérie de Bordeaux. Les visiteurs médicaux instaurent une relation cordiale avec les médecins, mais ils sont avant tout des commerciaux qui nous incitent à acheter par le biais d’arguments très efficaces. »
Réfléchir à l’influence de la promotion pharmaceutique sur son activité et développer un esprit critique vis-à-vis de cette industrie permet de se prémunir de tout conflit d’intérêt. D’autant que les patients eux-mêmes, à la suite d’affaires très médiatisées (Vioxx, Médiator…), entretiennent une certaine défiance à l’égard de l’industrie pharmaceutique. Conséquence : ils attendent du corps médical, une plus grande objectivité et une indépendance dans leurs prescriptions.
Se former à la pharmacologie
Selon Barbara Trailin, certains praticiens sont tentés d’ouvrir leur cabinet aux visiteurs médicaux, car ils n’accordent pas le temps nécessaire à la formation continue « indépendante ». « La visite médicale représente une solution de facilité. La formation vient à nous et se fait en quelques minutes », remarque la vice-présidente de ReAGJIR. Elle conseille donc d’anticiper ses besoins en formation afin de ne pas opter pour la visite médicale par manque de temps.
Selon les conclusions de deux études menées en 2014 sur les interactions entre étudiants en médecine et représentants de l’industrie pharmaceutique, 75 % des étudiants reconnaissent ne pas avoir reçu une formation suffisante pour appréhender la promotion pharmaceutique. « L’enseignement en matière d’iatrogénie médicamenteuse et de pharmacovigilance est aujourd’hui insuffisant », alerte Barbara Trailin. Selon elle, améliorer la connaissance du médicament, la formation des étudiants en médecine doit être renforcée sur le plan de la pharmacologie. En 2017, fort de ce constat, le Département de médecine générale de Bordeaux a mis en place pour les internes de médecine générale une Formation à l’analyse crItique de la promotion pharmaceutique (FACRIPP). Cette formation de 14 heures, unique en France par son intensité, décortique toute la chaîne du médicament et analyse les moyens promotionnels mis en place par les industries du médicament pour agir sur cette chaîne : la visite médicale, les leaders d’opinion, la multiplication des essais favorables, la formation médicale continue... Cette formation commence à se développer dans d’autres facultés de médecine du pays. « Elle permet aux médecins de prendre du recul par rapport aux mécanismes utilisés par l’industrie pharmaceutique. Pour pousser plus loin la réflexion et viser un public plus large nous avons voulu mettre en place une journée d’indépendance en médecine en Aquitaine, pour débattre autour de ce sujet capital et pousser à réfléchir sur notre système de santé », complète Laurence Dahlem, animatrice des débats de cette importante journée qui s’est déroulée le 20 octobre dernier dans un amphithéâtre de la faculté de Médecine de Bordeaux.
(1) Étude sur l’impact de l’information médicale sur la pratique des médecins réalisée entre le 27 septembre et 7 octobre 2018 par la Fédération Nationale de l’Information Médicale - BVA en partenariat avec le Syndicat de la presse et de l’édition des professions de santé, auprès de 200 médecins dont 91 généralistes
POUR EN SAVOIR PLUS
Une charte pour encadrer le métier
Afin d’assurer une bonne qualité à l’information délivrée par les délégués médicaux et éviter les pratiques marketings déviantes, une charte de l’information promotionnelle encadre depuis 2014 la visite médicale. Signée par le LEEM et le Comité économique des produits de santé (CEPS), elle fixe « les conditions de l’information sur les spécialités pharmaceutiques par démarchage ou la prospection visant à la promotion ». Fin 2015, la charte a été complétée par la création de l’Office national de l’information promotionnelle (ONIP) destiné, à partir de critères objectifs, à vérifier la conformité des pratiques commerciales, assurer les bons usages des médicaments et repérer d’éventuels écarts. Ce nouveau cadre réglementaire interdit la remise de cadeaux, échantillons de dispositifs médicaux, produits cosmétiques ou compléments alimentaires aux professionnels de santé et conditionne l’invitation à des repas.
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