Internat

4A : la PPL Valletoux impose de pourvoir les stages dans les déserts en premier

Par
Publié le 22/06/2023
Article réservé aux abonnés

La proposition de loi Valletoux, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 15 juin, contient un article indiquant que les stages en déserts médicaux sont à pourvoir en premier par les internes de médecine générale en quatrième année. Décryptage.

Crédit photo : GARO/PHANIE

L’article 5 quater de la proposition de loi Valletoux, adoptée en première lecture le 15 juin, modifie l’article L. 632-2 du code de l’éducation, relatif au stage de la dernière année du diplôme d’études spécialisées de médecine générale — soit la quatrième année. Jusqu’ici, tout va bien. La suite est plus corsée : ce stage a lieu « sous un régime d'autonomie supervisée par un ou plusieurs praticiens, maîtres de stage, des universités agréées, dans des lieux agréés en pratique ambulatoire dans lesquels exercent un ou plusieurs médecins généralistes et en priorité dans les zones mentionnées au 1° de l'article L. 1 434-4 du code de la santé publique », soit « les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l'accès aux soins ». Les députés ont complété cette phrase au sujet de ces zones sous-denses par « qui sont systématiquement les premières à être pourvues ».

Un ajout est également fait au paragraphe III, indiquant qu’un décret au Conseil d’État détermine : « Les modalités d’attribution des stages afin que les stages situés dans les zones mentionnées au 1° de l’article L. 1 434‑4 du code de la santé publique soient les premiers à être pourvus. » En clair : les stages des étudiants en quatrième année de médecine générale dans les zones sous-denses devront être pourvus en premier. Cet article, figurant dans la PPL Valletoux, provient d’un amendement co-écrit par les députés Horizons Thierry Benoit et Jérémie Patrier-Leitus.

Un métier de service public

Ils justifient dans l'exposé des motifs qu’« effectuer un stage dans un désert médical augmente la probabilité de revenir s’y installer une fois les études terminées ». Et si la loi rend « prioritaire » la réalisation de ce stage dans les zones sous-dotées, « cette disposition ne garantit pas que tous les postes à pourvoir en stage dans les déserts médicaux le soient effectivement, puisqu’il y a, chaque année, plus de terrains de stages que d’étudiants », poursuivent les députés. D’où leur volonté qu’ils soient les premiers à être pourvus. Et cela peut être réalisé, argumentent-ils, « par exemple, en conditionnant l’attribution de stages situés en dehors de ces territoires sous-dotés à l’atteinte des objectifs en termes de nombre d’étudiants réalisant leur stage dans les déserts médicaux ».

Le député Thierry Benoit tient à relativiser le caractère coercitif de son amendement. « L’idée est de faire connaître l’exercice de la médecine sur l’ensemble du territoire national et pas que dans les centres hospitaliers universitaires. Peu importe l’année, nous voulons qu’il y ait un passage dans un territoire moins bien doté, y compris dans les endroits où la téléphonie ne fonctionne pas très bien », ironise-t-il, après un échange haché par des problèmes de réception. « Dans quel métier fait-on ce que l’on veut, où l’on veut et quand on veut ? Être médecin relève d’un métier de service public. La liberté, oui : mais nous sommes tous interdépendants… Franchement, ce n’est pas une punition ! Nous vivons dans une époque où la contrainte est mal vécue », défend-il. Thierry Benoit nuance dans un second temps ses propos. « Peut-être que le terme de désert médical est mal employé. En Ille-et-Vilaine, entre Rennes et Saint-Malo, il y a des territoires moins bien dotés, mais ce ne sont pas des déserts ! »

Le grand appariement

Selon Raphaël Presneau, président de l’intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG), cet article est « inapplicable et inacceptable ! On ne peut pas dire qu’un stage doit être le premier choisi et l’autre non. Il n’y a pas d’ordre d’affection. ». De plus, ajoute-t-il, « nous ne sommes pas là pour boucher les trous : on choisit un stage pour sa qualité pédagogique, pas pour sa zone géographique. Maintenant que cette quatrième année nous a été imposée, elle doit être formatrice ». Cet article montre pour Raphaël Presneau « une nouvelle fois une connaissance crasse de nos études de médecine ». L’objectif pour le jeune interne nantais est donc de « faire sauter cette disposition au Sénat » quand le texte y sera examiné.

De son côté, le Pr Olivier Saint-Lary, président du CNGE et auteur du rapport sur la mise en place de la 4A, émet des réserves sur le niveau de connaissance de la quatrième année des parlementaires ayant voté cette disposition, mais reconnaît qu’« il y a un vrai sujet sur le "big matching" ou grand appariement, qui nécessitera des ajustements pour la médecine générale en raison des cohortes plus grandes que les autres spécialités. » Si cela venait à être adopté dans la version finale du texte, le généraliste admet qu’il ne verrait pas « comment faire coïncider la loi et les contraintes techniques… » De plus, « cet article n’est pas vraiment en cohérence avec la philosophie de notre rapport », admet-il, avant d’indiquer que plusieurs réunions auront lieu dans les prochaines semaines avec parlementaires et directeurs de DMG.

De l’affichage ?

Pour l’heure, pas d’inscription à l’ordre du jour au Palais du Luxembourg. Avec l’approche des vacances parlementaires et les prochaines élections le 24 septembre prochain, le Sénat sera, pour sa moitié, renouvelé. L’examen de la PPL Valletoux aura donc lieu à la rentrée, probablement en octobre.

Le Dr Bernard Jomier, sénateur socialiste de Paris depuis 2017, est concerné par le scrutin. Le généraliste a suivi avec attention les débats autour de la PPL Valletoux. Sur l’article en question, il admet volontiers avoir « tiqué, car son opérabilité me paraît compliquée ». Celui-ci est, selon lui, « flou, mal écrit… de l’affichage, sans grand intérêt ». En revanche, sur l’intentionnalité, précise-t-il, « je ne suis pas sûr que le Sénat s’y oppose, car le stage de six mois en 4e année, voté en 2022, prévoyait qu’il soit réalisé en priorité dans les déserts médicaux. »

De son côté la sénatrice et pédiatre Dr Florence Lassarade (Les Républicains) s’est interrogée : « Qui définit les déserts médicaux ? Il y en a partout, y compris dans les zones urbaines… » Avant de recentrer le débat : « le problème n’est pas de générer des amendements, mais plutôt de redonner confiance aux jeunes médecins, en les aidant à être autonomes et en les payant correctement. L’humiliation de la convention n’est pas attractive pour eux. On peut toujours les obliger à aller six mois quelque part, ils n’y resteront pas ! »

Contacté, le principal intéressé, Frédéric Valletoux, n’a pas souhaité s’étendre sur cet article qui selon lui « ne passera pas au Sénat » et qu’il n’a pas soutenu, notamment en raison de l’inscription des déserts médicaux comme terrains de stages, lesquels couvrent la quasi-totalité du territoire. Le député Horizons a par ailleurs confirmé au Généraliste l’intention du gouvernement de faire voter le texte avant la fin de l’année, après un passage au Sénat et une commission mixte paritaire (CMP).


Source : lequotidiendumedecin.fr