Deux internes dénoncent la violence des études médicales

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Publié le 07/11/2020
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Humiliations, discriminations, agressions… Une thèse s’appuyant sur une enquête auprès de 2 179 internes de médecine générale révèle l’ampleur des violences subies pendant leur formation.

Crédit photo : BURGER/PHANIE

« Casse-toi, tu sers vraiment à rien ! Tu es trop conne, ma pauvre fille ! », « Tu vois la fenêtre ? Tu l’ouvres et tu sautes », « Toi, tu passes dans mon bureau et on trouvera un arrangement pour valider ton stage », « Bah, elle est antillaise, laisse-lui le temps. » De tels messages, Amélie Jouault et Sara Eudeline en ont réceptionné des centaines de pages pour leur travail de thèse sur les violences subies par les étudiants en médecine générale. Les deux internes ont mené une enquête auprès de 2 179 internes en médecine générale dans toute la France. C’est la lecture du livre de Valérie Auslender, Omerta à l’hôpital, qui a incité Amélie Jouault à se lancer sur ce sujet : « Quand j’ai lu les témoignages, je me suis beaucoup retrouvée. Mais avant, je ne me rendais pas bien compte que ce qu’on vivait était des violences », explique-t-elle.

Après un travail de trois ans sur la question, le résultat est sans appel, les chiffres obtenus montrent que les violences sont omniprésentes et systématiques au cours des études de médecine. 99,3 % des étudiants qui ont répondu à l’enquête en ont subi au cours de leur cursus et 93,8 % déclarent avoir été victimes de plusieurs types de violence. 93,6 % des étudiants de l’échantillon affirment avoir subi des violences psychologiques de façon occasionnelle ou répétée au cours des études. Parmi celles-ci, les mises à l’écart sont les plus répandues (80 %). Un étudiant sur six révèle également avoir subi des humiliations (62 %) ou abus de pouvoir (58 %) et près de 40 % un harcèlement moral. Les menaces (27 %) et les insultes (24 %) sont également répandues. De nombreux internes ont aussi eu à subir des discriminations de genre (50 %) ou sur leur apparence physique (24 %), des discriminations à motif racial, matrimonial, sur l’orientation sexuelle ou religieuse (moins de 10 %). « Un professeur de gastro-entérologie m’a dit que ça ne me ferait pas de mal de venir à pied à l’hôpital, en faisant référence à mon poids, après m’avoir regardée des pieds à la tête », relate ainsi une étudiante.

Aucun lieu n’est épargné

Une majorité d’IMG (53 %) ont également témoigné de violences sexistes et sexuelles. Notamment, un étudiant sur trois déclare des propos ou comportements à connotation sexuelle, et un sur cinq du harcèlement sexuel. « Mon maître de stage a essayé de m’embrasser à plusieurs reprises et avait des gestes déplacés. Je n’en ai parlé qu’en fin de stage au responsable du département de médecine générale (...) et j’ai appris que ce n’était pas la première fois ! » Des violences physiques sont aussi relatées par la moitié (49,6 %) des IMG : des jets de dossier, de matériel chirurgical, des bousculades ou même des étranglements… 20 % des sondés racontent également des bizutages, contraints ou volontaires.

Dans 9 cas sur 10, les auteurs des violences psychologiques et sexuelles sont les supérieurs hiérarchiques. Aucun terrain de stage n’est épargné, même si les violences sont plus prégnantes à l’hôpital. « Principalement dans les services où les conditions de travail sont dégradées. En ambulatoire, on constate majoritairement des violences sexuelles et psychologiques », précise le Dr Jouault.

Des pistes pour y mettre fin

L’ampleur des résultats montre que la violence est systémique dans les études de médecine. « Il y a un certain nombre de facteurs, propres à ce milieu, qui font le lit des violences. Si tu n’en as pas chié, si tu as peur face à des violences, alors tu ne seras pas capable d’assumer ton travail plus tard, par exemple », explique Amélie Jouault. Pourtant, l’étude révèle également que ces violences ont des conséquences néfastes sur le cursus des étudiants, leurs relations sociales, leurs compétences professionnelles et leur état de santé.

En dépit des résultats édifiants de cette enquête, les plaintes sont encore très peu nombreuses. Les auteurs espèrent que leur thèse et une volonté plus affichée des autorités permettront une prise de conscience générale sur la violence des études de médecine. Dans leur travail, Amélie Jouault et Sara Eudeline évoquent d’ailleurs des pistes pour y mettre fin. Comme pour les violences faites aux femmes, les deux généralistes recommandent de les dépister systématiquement. « Les étudiants ne viennent pas en parler seuls mais quand on demande, ils racontent », souligne le Dr Jouault, qui évoque la mise en place d’une consultation de médecine du travail au sein de laquelle la question serait posée. « Il faut que les étudiants, à force d’en entendre parler, se disent que ce n’est pas normal et qu’il s’agit bien de violences. »


Source : lequotidiendumedecin.fr