Tribune

« La coercition est un pansement sur une jambe de bois »

Publié le 14/01/2022

Suite à la diffusion du reportage de Cash Investigation intitulé  « Liberté, santé, inégalités », le syndicat des remplaçants et jeunes généralistes ReAGJIR a souhaité, par la voix du Dr Caroline Di Lorenzo-Kas, membre du bureau, apporter un droit de réponse à ce sujet qui présente la liberté d’installation comme la cause principale des déserts médicaux et la coercition comme la solution.

Crédit photo : GARO/PHANIE

Pour nous à ReAGJIR, la liberté d’installation n’est pas le problème majeur des déserts médicaux. Le problème des déserts médicaux, c’est la démographie médicale.

Le reportage dit qu’il n’y a jamais eu autant de médecins en France. Nous avons atteint le niveau des médecins qu’il y avait dans les années 70, mais en 2022 la population a évolué. Il y a eu une augmentation de la population générale et une évolution des patients avec davantage de pathologies chroniques. Le métier de médecin généraliste n’est plus le même. Le vrai problème est là. C’est facile de faire parler des chiffres mais il faut le mettre en lumière avec notre quotidien de médecin généraliste qui a radicalement changé.

Nous savons que la problématique se pose maintenant et que la démographie va encore diminuer jusqu’en 2030. Mais ce n’est pas faute d’avoir prévenu les politiques depuis des années. La démographie médicale était facile à anticiper. Ils ne l’ont pas fait et aujourd’hui, ils veulent faire payer aux jeunes générations leurs erreurs politiques.

La coercition dans les autres pays ne fonctionne pas. Cela s'assimile presque un pansement sur une jambe de bois. Le risque de la coercition ou de la non-liberté d’installation pour les généralistes est de voir décliner le nombre d’internes qui choisissent la spécialité. Cela va entraîner la diminution de l’attractivité de la profession. Il y a aussi un risque de voir les généralistes partir vers le salariat. Le salariat c’est bien mais ça dépend où. Cela ne résoudra pas le problème.

Par ailleurs aujourd'hui, des zones surdotées, il n’y en a plus. Nous avons des zones normalement dotées, des sous-dotées et des sous sous-dotées. Ce reportage assimile les déserts médicaux à la campagne, mais ils existent aussi en ville. Le 93, qui est un des départements le plus peuplé de France, est un désert médical.

Obliger les jeunes à aller s’installer dans les déserts médicaux, induit aussi le risque de les voir partir très vite s’il n’y a pas d’attractivité globale du territoire. Parachuter des gens dans des régions où il n’y a rien juste pour dire : - il y a un médecin ici - ne sera pas constructif. Un médecin travaille en équipe : il a besoin d’un kiné, d’infirmiers. Vouloir mettre des médecins à droite à gauche sans réfléchir à ce que l’on met autour ne fonctionne pas. La coercition est une solution à très court terme qui à long terme peut avoir des effets délétères.

Par ailleurs ce reportage dit qu’en France on peut se soigner gratuitement. Ce n’est pas le cas. Nous sommes pris en charge par une Sécurité sociale. Ce n’est pas gratuit, nous payons des cotisations. C’est un choix de société, mais il a un coût. La santé a un prix !


Source : lequotidiendumedecin.fr