Le journal de bord de DocTotoscope

Confraternité : une fausse bonne idée ?

Publié le 04/12/2021

Crédit photo : DR

Le 11 octobre, je vous parlais de la perte de chance des patient•es âgé·es à l’hôpital. Aujourd’hui, je souhaite revenir sur un point particulier : la notion de confraternité et ses limites.

Les médecins qui osent se battre pour les patient·es en payent le prix : la confraternité, oui, mais à sens unique et surtout pas quand on est interne. La décision médicale partagée ? Quelle vaste plaisanterie – comme si un·e patient·e sans bagage scientifique pouvait comprendre tous les tenants et aboutissants d’une réflexion médicale. Et surtout, ne jamais remettre ses confrères en question, cela ne se fait pas, surtout – surtout – quand vous êtes interne.

J’aime beaucoup cet extrait de l’article 56 du code de déontologie (article R.4127-56 du code de la santé publique) : « Les médecins se doivent assistance dans l’adversité. » Eh bien moi, je n’ai pas perçu d’assistance, juste du mépris et de l’injustice de la part de spécialistes qui n’ont pas supporté d’être remis en question.

On fustige l’interne qui ose dire que l’âge n’est pas un critère, que chacun·e a droit que tout soit mis en œuvre afin d’être soigné ; on l’humilie devant son équipe, devant ses seniors, devant ses co-internes. Cela peut même aller jusqu’aux insultes et aux menaces.

Alors, quel est le but de ce fameux principe de confraternité ? se protéger entre confrères ? montrer un front uni ? se couvrir mutuellement, se protéger en cas d’erreur ? J’ai toujours eu dans l’idée que c’était une mauvaise chose. Devoir se taire parce qu’un confrère n’a pas bien fait son travail, ça n’apporte jamais rien de bon. D’abord parce qu’on se retrouve (trop) souvent à rattraper des prises en charge bancales, d’autre part parce que cela peut causer d’énormes préjudices aux patient·es. Ce n’est pas normal. Quelle autre profession impose un tel silence à ses membres ? À quel moment est-il éthique de se taire pour protéger un « confrère » au détriment d’un·e patient·e ?

D’ailleurs, ce terme de « confrère » me semble particulièrement mal choisi. Déjà, quid des femmes qui exercent cette profession ? Ce terme nous invisibilise, et quand on parle de « consœur », c’est bien souvent pour dévaloriser une femme qui exerce ce métier. Ensuite, ces personnes qui pratiquent le même métier que moi ne sont pas des « frères » à mes yeux. Nous avons juste le même travail, point. Nous ne formons pas une sorte de confrérie, loin de là…

Quand un·e artisan·e fait mal son travail, cela se sait, et les gens ne viennent plus le voir. Mais quand on est médecin, on a tous les droits, même celui de mal faire son travail. On a le droit de jouer avec les vies humaines comme si on achetait un pain au chocolat. On a même le droit de mépriser ses collègues, sans qu’iels ne puissent rien répondre, sous prétexte de « non-confraternité ». Mais personne ne se plaint, l’omerta règne : car si ce·tte médecin s’en va, qui va soigner ceux qui en ont besoin ? Le pays manque de soignant·es, certes, mais faut-il vraiment soigner à ce prix ?

Le jour où je suis entrée en médecine, un principe a régi ma vie, bien au-delà des liens sacrés du serment d’Hippocrate : Primum non nocere. D’abord, ne pas nuire. Ce qui se passe aujourd’hui dans le monde médical me semble bien loin de cette considération et j’en suis navrée. J’en viens parfois à me demander le but de tout cela, et si une petite interne condescendante y a sa place.

DocTotoscope est en 1re année d’internat de médecine générale


Source : lequotidiendumedecin.fr