Aujourd’hui, je vais parler de quelque chose qui m’a profondément choquée en tant qu’interne aux urgences.
Dans ce cadre, on voit régulièrement, pour ne pas dire quotidiennement, arriver des personnes dites « âgées », pour différents motifs : chute, traumatisme crânien, décompensation cardiaque, altération de l’état général… Le plus souvent, après bilan, ces personnes finissent dans le service de gériatrie. Officiellement, c’est là qu’est leur place car elles sont « âgées » et polypathologiques. Officieusement, c’est bien souvent car elles sont récusées des services de médecine…
Combien de fois ai-je pu voir un spécialiste refuser de prendre dans son service une personne, pourtant totalement autonome et active dans la vie quotidienne, car elle était « âgée » ? Combien de fois ai-je entendu « bof, à cet âge-là, on ne fera pas grand-chose » ?
Je suis lucide, et je sais bien que le nombre de places à l’hôpital n’est pas illimité. Qu’il faut parfois choisir, donner la priorité à celles et ceux qui ont le plus de « chances » de s’en sortir. À quel moment en est-on arrivé là ? Et, plus important, où est l’éthique dans tout cela ? Sous le prétexte (fallacieux) qu’un·e patient·e est âgé·e, il faut renoncer à lui donner les mêmes soins qu’à un·e patient·e plus jeune ? L’accès aux soins est donc restreint pour ces personnes. On ne tentera pas tout pour les sauver, quand bien même elles sont autonomes et en aussi bonne forme que des quadragénaires.
Un exemple parmi d’autres : Mme B., 85 ans, consulte pour chute à domicile. Le contexte est flou : cette dame, très gentille au demeurant, vit seule. Elle a été retrouvée au sol cette après-midi par son fils, qui vit à côté. Personne, ni lui, ni les pompiers, ni nous, n’a réussi à savoir depuis combien de temps cette dame était par terre. Quand je vais la voir, Mme B. me dit ne pas savoir pourquoi elle est ici. Elle n’a mal nulle part et ne sait pas ce qu’il s’est passé. En discutant avec elle, je me rends compte qu’elle est complètement désorientée. L’examen clinique ne révèle rien de particulier, et les constantes sont stables. Je décide donc de lancer un bilan de confusion, à la recherche d’épines irritatives.
Appel urgent du labo : la troponine est augmentée à 300. Je profite de la présence du spécialiste, de passage aux urgences, pour lui en parler. Sa réponse ? « Je ne veux pas la voir ; 85 ans, c’est de la gériatrie. » Dépitée, je continue la prise en charge de mon mieux. La fin de ma journée approche, la relève arrive. Mme B. se dégrade rapidement : elle est tachycarde, somnolente, hypotendue, cyanosée. Jugée trop âgée, elle n’a même pas mérité d’être examinée par le spécialiste.
Ces personnes âgées ont des familles. Comment peut-on se regarder dans le miroir, comment peut-on vivre avec ça sur la conscience ? Comment ose-t-on annoncer ce genre de choses aux familles, droit dans les yeux, sans aucune honte ? « Votre papa, votre maman est trop âgée. Non, nous n’allons par l’emmener en coronarographie. » Vous rendez-vous compte de la violence de ces propos ?
L’âge est donc une perte de chance. C’est bien malheureux dans un pays dit « développé », qui se targue de repousser toujours plus loin les limites de l’espérance de vie de ses citoyen·nes. Il y a une sorte de date de péremption, au-delà de laquelle on estime que les soins sont une perte de temps et/ou d’argent.
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