Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

« On ne peut pas laisser nos futurs soignants être maltraités »

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Publié le 21/02/2022
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4e année, recrutement des MSU et des enseignants, risques psychosociaux, violences sexuelles et sexistes… mais aussi réforme des 1er et 2e cycles, Frédérique Vidal défend les évolutions menées par son ministère et répond aux inquiétudes des étudiants.

Crédit photo : GARO/ PHANIE

L’évolution du DES de médecine générale vers un internat en quatre ans semble avancer. Où en est-on aujourd’hui ?

Frédérique Vidal : Il n’y a rien d’acté et pas d’échéance. D’un point de vue pédagogique, c’est une vraie demande des internes de médecine générale et cela a du sens : l’auto­nomisation, construire quelque chose qui ressemble à ce qui existe dans d’autres DES, avec le médecin junior notamment. Mais il faut concerter, regarder le pour et le contre pour les étudiants eux-mêmes, et aussi imaginer la prise en charge financière de cette année complémentaire. Il faut également avoir suffisamment de médecins superviseurs pour les médecins juniors. Ce sont donc des discussions en cours, qui n’ont pas encore abouti.

Avec la présidentielle notamment, les propositions sur cette 4e année se mélangent avec celles pour lutter contre les déserts médicaux. Existe-t-il un risque de détournement du débat sur cette année d’internat ?

F.V. : J’ai entendu certains candidats dire : y a qu’à, faut qu’on… Mais lorsque l’on est en position de responsabilité, il faut prendre en compte, toujours et avant tout, l’intérêt du médecin en formation. Contre les déserts médicaux, nous avons fait beaucoup pendant ce quinquennat. Par rapport au précédent, nous avons quasiment 10 000 étudiants en santé de plus en formation dont 8 500 médecins. Nous commençons à en voir les fruits dès cette année avec 300 internes de plus, nous en aurons 750 de plus en 2024, 2 000 de plus en 2026.

Nous avons beaucoup travaillé dans le cadre des réformes des deuxième et troisième cycles pour avoir plus de maîtres de stage sur le terrain, pour pouvoir les valider en ambulatoire. Nous avons travaillé à l’universitarisation dans tous les territoires, même ceux qui n’ont pas de CHU. Pour lutter contre les déserts, ce qui n’avait pas été fait jusqu’à présent, c’était d’attaquer la problématique en essayant de la comprendre : pourquoi les jeunes médecins ne s’installent pas dans certains territoires ? Parce que, pour leurs études, ils en ont été éloignés pendant des années. Également parce qu’il faut que les conditions d’exercice soient mises en place. Ils souhaitent avoir un environnement favorable à l’exercice de leur métier : d’où les maisons de santé pluri­professionnelles, les médecins référents, un usage mieux pensé de la télémédecine.

Vous évoquez l’importance du recrutement des MSU. Le décret de décembre qui réduit les heures prises en charge pour la formation à la maîtrise de stage n’est-il pas ambigu ?

F.V. : Nous avons relancé les discussions sur ce sujet car nous nous sommes rendu compte que cela pouvait effectivement être un facteur bloquant. Beaucoup de médecins souhaitent être maîtres de stage mais cela peut être compliqué de mettre en concurrence une formation sur un sujet qui les intéresse avec celle pour être MSU. Les discussions sont en cours et nous allons trouver une solution pour ne pas freiner l’envie qu’ont les médecins d’être MSU.

Le recrutement d’enseignants est déterminant aussi. Est-il prévu d’accélérer ce processus ?

F.V. : Cela a déjà été fait avec l’engagement d’avoir 50 recrutements supplémentaires d’encadrants universitaires par an. Cette année, cet objectif sera dépassé avec plus de 75 créations de postes sur crédits d’État. Il y avait évidemment l’expression d’un besoin mais aussi la réforme des études qui nécessitait un accompagnement en termes de création de postes. Toutes les demandes qui ont été formulées pour des postes universitaires en médecine générale ont reçu un arbitrage positif.

Ce qui est intéressant aussi, c’est la création d’un cercle vertueux. Nous travaillons beaucoup avec les collectivités, très intéressées pour renforcer l’offre médicale et l’accueil d’internes et faire revenir des médecins sur le territoire. Nous constatons donc que lorsque, de notre côté, nous ouvrons des postes de chefs de clinique, de maîtres de conférences, de professeurs d’université, les collectivités suivent le mouvement. Dans certains territoires, c’est du 1 pour 1 : nous finançons trois postes, les collectivités idem.

Au printemps dernier, un plan a été mis en place pour prévenir les risques psychosociaux chez les étudiants en santé. Quel premier bilan en tirez-vous ?

F.V. : C’est un sujet sur lequel nous avons été sensibilisés tôt, à l’époque avec ma collègue Agnès Buzyn. L’idée était de prendre en charge cette question des risques psychosociaux et des violences au sein des études de santé en partant du principe qu’on ne peut pas laisser nos futurs soignants être maltraités et ensuite demander qu’ils soient bientraitants auprès des patients. Cela s’est traduit à l’époque par la mise en place du Centre national d’appui à la qualité de vie des étudiants en santé (CNA), qui a permis de faire travailler ensemble les associations pour avoir des propositions. Elles se sont traduites par la mise en place de cellules d’écoute.

Il faut que chacun soit formé sur les risques psychosociaux.

Avec Olivier Véran, nous portons une tolérance zéro et nous avons démis des maîtres de stage car il n’est pas question de les laisser encadrer des jeunes s’ils ont été maltraitants. Depuis la mise en place de ce mécanisme, une dizaine de retraits d’agréments de stage a eu lieu.

Le CNA a évolué, qu’est-ce que cela signifie pour ses missions ?

F.V. : Le principe est de pérenniser le CNA en en faisant une sous-direction au sein du ministère, avec du personnel affecté de manière définitive en lien avec la médiatrice nationale. L’idée est d’avoir un point d’appel, avec la mise en place du numéro d’appel unique. On doit être capable soit de donner des coordonnées localement aux étudiants, soit, si l’étudiant ne veut pas faire part de son problème localement, d’avoir une prise en charge directe. Une inspection générale a été mise en place pour cartographier le fonctionnement sur le terrain et vérifier qu’il y ait partout une capacité d’écoute et de prise en charge. Il fallait tenir compte des demandes des étudiants, pour qui la difficulté était d’être sûrs que parler n’allait pas se retourner contre eux. D’où cette idée des cellules d’écoute délocalisées.

C’est aussi pour cela qu’il doit y avoir un engagement de tous. Que chacun soit formé et pas seulement une fois pour toutes mais qu’il y ait une formation continue. Il peut être difficile pour un responsable de savoir comment réagir et recueillir la parole, il faut savoir quoi en faire. Il est donc important aussi d’avoir un accompagnement juridique. Certaines choses peuvent se régler simplement, dans le dialogue, mais il y en a aussi d’autres condamnables pour lesquelles il faut aller en justice et accompagner la plainte. Il faut une graduation, même si, heureusement, souvent, l’intervention du médiateur permet déjà de calmer les situations, sauf dans les cas de violences sexuelles et sexistes (VSS), pour lesquelles il n’y a pas de médiation.
Pour l’instant, tout est construit autour des étudiants en santé, mais l’objectif est de l’étendre à tous les étudiants avec davantage de personnel et de moyens.

La question du temps de travail des internes est également déterminante. Ces derniers attendent des mesures fortes sur ce sujet. Lesquelles proposez-vous ?

F.V. : C’est un sujet qui est plus spécifiquement travaillé au ministère de la Santé mais il est pris très au sérieux. Ce qui est en cours est de regarder comment nous sanctionnons les établissements qui ne respectent pas les règles. Des règles sont fixées et si elles ne sont pas respectées, il faut qu’il se passe quelque chose, même si nous comprenons bien ces difficultés, surtout en période de pandémie. Des groupes de travail sont en train de finaliser cela avec les représentants des étudiants.

Récemment, la discipline a répondu présent à l’appel à projets de recherche en soins primaires interrégional (AAP ReSP-Ir). D’autres sont-ils prévus ?

F.V. : Oui, il faut soutenir la recherche en soins primaires. C’est absolument essentiel. Surtout, il faut l’organiser. C’est aussi une question de réseaux et de simplicité. Cette capacité à piloter tous ceux qui voulaient participer est une des difficultés que nous avons constatées pendant cette pandémie. Ces réseaux, il faut qu’ils soient pilotés par des universitaires car ce sont eux qui porteront la responsabilité de cette recherche. Le principe est de continuer à fonctionner en mode appel à projets. Il faut que ce soit simple, organisé et financé. Dans la recherche en soins primaires, un élément essentiel est aussi de savoir comment on embarque les patients. Il faut bien évidemment définir le cadre, le protocole et la méthode.

Cela peut-il passer par les maisons de santé pluriprofessionnelles universitaires (MSPU) ?

F.V. : Bien sûr. Les MSPU sont tout à fait le lieu. Nous avons voulu universitariser les professions de santé et avoir vraiment des filières pour les soins infirmiers, les kinés… car la prise en charge de la santé est quelque chose de global et est associée à ces activités de recherche. Je suis convaincue que, de plus en plus, la prise en charge des patients sera pluriprofessionnelle, interdisciplinaire.

La mise en place de la réforme du 1er cycle des études de santé (R1C) ne s’est pas faite sans heurts. Cette réforme est-elle à la hauteur des attentes et des objectifs qu’elle s’était fixés ?

F.V. : D’abord, cette réforme s’est mise en place dans un contexte compliqué, celui de la pandémie. On a réformé le 3e cycle, le 1er cycle puis le 2e cycle. Elle est absolument essentielle dans cette vision globale qui est d’avoir plus de jeunes entrant dans les filières santé, depuis plus d’endroits sur le territoire, d’avoir plus de stages en ambulatoire et en CHU et d’accompagner l’attractivité des territoires et la sortie des futurs médecins. Le bilan est que nous avons largement augmenté le nombre de places.

Ce qui a été mal compris, c’est la question du redoublement. Ce n’est pas du tout une perte de chance. Auparavant, on pouvait rater le concours, réussir la première année et néanmoins refaire la même année. C’est ça que nous avons changé. On peut maintenant rater le concours, réussir l’année et passer en 2e année tout en repassant le concours. On n’enlève pas de chance, on permet à l’étudiant de progresser dans son cycle de formation. Cette année, ce sont plus de 11 000 étudiants qui ont validé leur première année de licence et entrent en deuxième année avec la possibilité de présenter à nouveau l’entrée dans les filières santé.

C’était une année de transition. Elles sont toujours compliquées. Nous avons mis en place, dans chaque établissement, des comités de suivi. Et nous avons remis officiellement la possibilité de faire appel. Nous avons mis plus de suivi des étudiants, de tutorats… Mais comme c’est un changement total de paradigme, il faut un peu de temps.

Tout ce qui a été fait avec ces réformes l’a été pour aider et accompagner les étudiants et améliorer les choses.

Nous avons voulu aussi, soutenus par les doyens et les étudiants, faire évoluer cette première année afin de diversifier les profils alors qu’elle était devenue un peu trop cristallisée sur la capacité de mémorisation et sur la technique et plus suffisamment sur la médecine appuyée sur l’écoute. Et une fois de plus, la médecine de demain sera beaucoup plus pluridisciplinaire et avec des nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle dans le diagnostic. Il est important aussi d’avoir des médecins qui aient une fibre juridique… D’où l’idée qu’on puisse commencer des études juridiques et faire médecine, ou des études d’informatique… C’est ça qui enrichira la profession. C’est d’ailleurs le sens de la réforme du 2e cycle, qui prend en compte tout le parcours des étudiants et leurs centres d’intérêt.

La R2C est entrée en vigueur pour les nouveaux externes à la rentrée et les étudiants sont aujourd’hui inquiets : à cause du retard pris, d’une mise en place ne correspondant pas à l’esprit initial… Que leur répondez-vous ?

F.V. : Nous passons de quelque chose que l’on estimait pas parfait mais qu’on connaissait, à quelque chose de mieux mais qu’on ne maîtrise pas. Là encore, c’est une question de confiance. Les médecins, les enseignants qui mettent en place ces réformes y consacrent des heures et des heures pour faire en sorte que cela se passe bien. Et, de-ci de-là, on corrige. Mais l’idée d’avoir une meilleure prise en compte du choix avant de rentrer en DES, personne ne le conteste.

Les décrets et arrêtés sont sortis, mis à part un. Il faut vraiment penser toutes ces réformes comme coconstruites avec les étudiants. Tout ce qui a été fait l’a été pour les aider, les accompagner, améliorer les choses. Nous avons essayé de prendre en compte tout ce qui nous avait été remonté. Maintenant, il faut que nous réussissions la mise en place. Ce qui est important, c’est de donner la souplesse nécessaire pour corriger là où ça ne se passe pas très bien.

Regrettez-vous l’initiative de la ville d’Orléans sur la mise en place d’une formation médicale privée avec la Croatie ?

F.V. : Concrètement, cette année, nous mettons 300 nouveaux internes sur le terrain… ça, c’est vraiment efficace. Dire qu’aujourd’hui, en formation 100 % à distance, pour la modique somme de plusieurs milliers d’euros, sans qu'ils ne puissent jamais voir un de leurs profs, on va former des médecins, alors qu’on sait à quel point le compagnonnage est au cœur de la formation… ça risque de faire beaucoup de jeunes déçus. Je ne fais pas plus de commentaires.

Les internes de médecine générale seront réunis à Tours les 24 et 25 février pour le congrès de l’Isnar-IMG. Quel message leur adressez-vous ?

F.V. : Évidemment, nous avons plus que jamais besoin d’eux. Ce que j’espère, c’est que nous aurons contribué à leur faire vivre des études plus sereines, plus en adéquation avec leurs attentes. Je ne doute pas qu’ils feront d’excellents médecins.

Un congrès vert pour les internes de médecine générale

Les internes de médecine générale vont se retrouver en fin de semaine, les 24 et 25 février, à Tours, pour le 22e congrès de l’Isnar-IMG. Après une année sans congrès à cause de la crise sanitaire, le thème de cette édition 2022 sera : « Verte et inclusive, une médecine plus attractive ». « Il y aura bien sûr des thèmes autour de la formation et de l’exercice futur mais aussi une réflexion plus large sur les enjeux et la place auxquels nous pouvons être confrontés dans la société », explique Marina Dusein, porte-parole de l’Isnar-IMG. Pendant deux jours, cela se déclinera notamment autour de deux tables rondes en plénière, une sur l’accès aux soins et l’autre sur la santé environnementale. Des sessions sous forme de boîte à outils ou ateliers auront lieu sur des sujets comme la santé des migrants et des réfugiés, les identités de genre, les violences sexuelles en médecine générale, le cabinet écologique mais aussi le droit des internes ou la cotation des actes. « Le but est que chacun puisse repartir avec des outils, des questions, des envies de recherche », commente Marina Dusein. Et après une année blanche, il est essentiel pour les IMG de pouvoir retrouver ce genre d’évènement. « Ce sont des espaces qui permettent de réfléchir, se rencontrer, travailler ensemble et se nourrir des expériences de chacun », ajoute-t-elle.


Source : Le Généraliste