Hier coordination, aujourd'hui association et demain syndicat... L’Union française pour une médecine libre ambitionne de révolutionner le paysage syndical de la médecine. Difficile, pourtant, de cerner ce mouvement iconoclaste, qui se résume en quelques idées libérales, une opposition farouche aux pouvoirs publics, un animateur plutôt grande gueule et des militants suractifs dans les réseaux sociaux. Où va l'UFML ? « Aux avant-postes », assure Jérôme Marty. « Dans le mur », répondent ses détracteurs...
Ça y est, l’UFML se lance dans le grand bain. D’association à syndicat, l’organisation a décidé de franchir le pas. Une étape actée par 73 % des adhérents du mouvement, le 7 septembre dernier, et qui devrait prendre corps au début de 2017. « Le modèle actuel de représentation syndicale est à bout de souffle, il est donc indispensable qu’une organisation ait le courage d’imaginer une autre voie et casse les codes qui régissent l’univers syndical », estime son président, Jérôme Marty. Une ambition derrière laquelle se cachent néanmoins un certain flou et quelques paradoxes.
Le calendrier n’est pas un hasard dans l’évolution de l’UFML. L’encre de la prochaine convention était à peine sèche que la décision de changer de statuts est survenue… Un texte signé tant par la FMF que le Bloc, deux syndicats dont l’UFML s’était rapprochée lors des dernières élections professionnelles, à l’automne 2015. Et ce alors même qu’une semaine avant la décision des troupes de Jean-Paul Hamon, Jérôme Marty signait, sur le site Internet de l’Union, un éditorial donnant « six raisons de ne pas signer ».
Le modèle actuel de représentation syndicale est à bout de souffle
Dr Jérôme MARTY
Président de l’UFML
La résistance à la convention
L’approbation à 53 % de la convention par les militants de la FMF connue, le généraliste toulousain publiait sur Internet une tribune fustigeant l’attitude des « syndicalistes à petits pieds et à nombrils immenses (qui) conduisent à tombeau ouvert avec un cadavre pour passager ». Illustré par un montage photo d’accident de voiture surtitré « La mort du conducteur », le chef de file de l’UFML appelait à « stopper cette course folle. Enterrer le cadavre, virer le conducteur et reprendre le volant en traçant notre propre route !!! » « Je pense que ça les démangeait depuis longtemps », analyse Jean-Paul Hamon. « C’est plus facile de ne pas signer », pointe le président de la FMF, qui considère toujours avoir eu raison de faire « le pari de signer la convention ».
Cette divergence sur la ligne politique à suivre n’est pas la première à laquelle Jérôme Marty s’est trouvé confronté. Avant de rejoindre les rangs de la FMF et de briguer un siège à l’URPS sous cette étiquette – il considère ainsi avoir « aidé la FMF » à avoir un « score important » –, il a milité à la CSMF dont il a été adhérent « pendant 14 ans ». Mais, celui qui fut même secrétaire général de la Conf’ dans sa région en est « parti lors du paiement à la performance », autrement dit la ROSP. Un an plus tard, la signature de l’« avenant 8 » scellait le départ du syndicat du généraliste toulousain.
Né avec le début du quiquennat Hollande
L’UFML a pris ses marques au début du quinquennat dans le mouvement de contestation mis en place par « Les médecins ne sont pas des pigeons ». Pour s’en démarquer vite : « on a fait scission car on ne voulait pas être confondus avec le mouvement de déconventionnement », justifie aujourd’hui le directeur de la clinique Saint-Roch. Il n’en reste pas moins que l’UFML agite souvent cette menace et proposait même, sur son site Internet, aux médecins de se « fédérer pour organiser, puis faciliter le déconventionnement massif de ceux qui le souhaitent ». Lors du débat au Parlement sur la loi de santé, en avril 2015, Jérôme Marty lançait un appel « à la désobéissance », une résistance placée « sous le rempart du déconventionnement, avec le recueil par une cellule régionale de lettres de déconventionnement, pouvant être mis en pratique devant toute attaque par l’État ou l’administration (tutelles) des contrevenants libres ! » Lu plus de 2 000 fois sur Internet, le message n’a, d’après l’assurance maladie, pas été suivi d’effet.
Positionnement somme toute ambigu que l’on retrouve aussi s’agissant du processus de négociations. Pendant les manifestations contre la loi de santé, les militants de l’UFML s’étaient illustrés par leurs pancartes et tee-shirts « No Nego ». Un mot d’ordre transformé, au printemps dernier, en « Negxit », autrement dit sortie des négociations conventionnelles. Des slogans forts dont Jérôme Marty tempère singulièrement la signification : « On ne dit pas “no négo conventionnelles”, on dit qu’il faut mettre des barrières à ne pas dépasser, des valeurs intangibles. On ne peut pas négocier, marchander l’indépendance, la liberté. » Deux notions issues de la charte de 1927, acte fondateur de la médecine libérale… Et au nom duquel l’UFML justifie ses actions.
Le terrain comme seule source de légitimité
Retour aux fondamentaux. « L’initiative de l’UFML est intéressante » en ce qu’elle « repose comme base des valeurs de la médecine libérale », juge Frédéric Bizard. « Ces valeurs ne peuvent pas être déclinées comme au XXe siècle », ajoute l’économiste libéral, souvent invité par l’organisation à intervenir lors de ses réunions. « C’est aux professionnels de juger de la défense des valeurs liées à l’exercice libéral », poursuit-il, car « vus de la base, les syndicats ne sont pas assez vigilants quant à leur respect ».
L’initiative de l’UFML est intéressante en ce qu’elle repose comme base des valeurs de la médecine libérale
Frédéric BIZARD
Économiste de la santé
En ce sens, l’UFML donne largement la parole aux médecins. Alors qu’il ne s’était retrouvé, jusqu’à présent, dans aucun syndicat, Éric Sayag a « trouvé une association de médecins où enfin on parlait des vrais problèmes que le médecin rencontre dans sa pratique. (…) L’UFML, ce sont des gens qui font remonter des expériences du terrain », poursuit le généraliste. Contrairement aux autres « syndicats qui négocient leur avenir, à l’UFML, les gens savent de quoi ils parlent car ils sont sur le terrain », soutient celui qui partage son temps entre son cabinet du XVle à Paris et chez SOS Médecins dans les Yvelines.
Même révélation pour une consœur, à la suite d’une intervention de Jérôme Marty dans le Val-d’Oise : « Tout s’est éclairé, j’avais le même ressenti », explique Marie-Caroline Joubert, « l’isolement, l’épuisement, le burn out ». Et l’ambition affichée par l’UFML de « tout faire pour faire changer les choses, enfin », a convaincu la généraliste. Qu’elle a ensuite fait prendre dans son département en créant une coordination devenue association « ralliée par 300 médecins », active sur Facebook.
L'importance des réseaux sociaux
Internet, les réseaux sociaux, de Twitter à Youtube, ou encore les forums de discussions sont de formidables relais des revendications et combats de l’UFML. C’est également là que se retrouvent essentiellement ses troupes. Selon Jérôme Marty, l’actuelle UFML, appelée à devenir un syndicat de médecins, compte près de 1 500 adhérents, dont 15 à 20 % sont des paramédicaux. « Un effectif total deux fois moins important qu’en 2012 », concède le Toulousain. Il observe toutefois « une forte augmentation des cotisants depuis l’annonce du syndicat, entre 15 et 20 par jour, maintenant ça se calme un peu ». Reste à savoir si le prix d’une cotisation syndicale n’en effrayera pas certains. « Ça va être extrêmement dur », prédit, à cet égard, Jean-Paul Hamon qui se montre dubitatif quant au poids que lui reconnaîtront les pouvoirs publics. « Une coordination n’a rien à voir avec un syndicat », souligne dans le même sens Luc Duquesnel, pointant notamment la nécessité de financements.
Reste que l’arrivée d’un nouvel acteur dans la sphère syndicale ne laisse personne indifférent. « Pas sûr que la profession ait besoin » d’une nouvelle entité syndicale, relève le chef de file des Généralistes-CSMF, estimant que « si à chaque fois que les gens mécontents de leur syndicat en créent un nouveau, alors dans 10 ou 15 ans, il y en aura 20 ». Redoutant « une dilution des énergies » car « la masse syndicale n’est pas extensible », Éric Henry « ne comprend pas tous les développements ». « Autant, quand on était dans la loi de santé, c’était simple, on savait que c’était le plus anti-loi », poursuit le président du SML qui, en juin 2015, avait tenu un meeting commun avec Jérôme Marty. Si l’UFML s’est alors révélée être « un stimulateur d’énergie positive », il s’interroge sur la dynamique qui l'anime aujourd’hui. « Jusque-là, il pouvait agir sur la menace de devenir un syndicat, mais maintenant, que pourra-t-il faire de plus », ajoute-il, jugeant que l’organisation, « en se syndiquant, a perdu de sa capacité à agir, sa liberté ».
Tout un programme, mais pour quoi faire ?
Car c'est un vrai changement culturel qui est en train de se jouer à l'UFML. « C’est un passage périlleux de passer de la contestation à la proposition, il y a un équilibre difficile à trouver », abonde Claude Leicher. Pour le leader de MG France, « l’UFML a fait son beurre en tapant sur les syndicats, mais comment fera-t-il avancer ses idées en tant que syndicat, à quel moment il transigera ? » Car, comme Luc Duquesnel et lui le soulignent, un accord résulte toujours d’un compromis, terme qu’ils prennent soin de distinguer d’une... compromission. « On n’a jamais tout ce qu’on veut », ajoute, d'expérience, le généraliste de Mayenne. Sur le fond, non sans noter des « contradictions étonnantes » dans les discours de l’UFML – entre la crainte d’une privatisation du système et la défense inlassable de la liberté tarifaire –, Claude Leicher attend que l’organisation construise « un corpus de mesures, de propositions », avant de s’exprimer sur ses idées.
L’UFML a bien élaboré un programme avec quelques idées-forces : alignement des tarifs des médecins sur la moyenne européenne, refus de la ROSP, du CAS et du tiers payant généralisé, et, bien sûr, de la convention qui vient d'être signée... Mais de ce « new deal de la santé » présenté au printemps 2016, il n’a plus guère été fait mention depuis. Qu'importe, l'UFML profite de la campagne pour se faire entendre. Le jour du débat Fillon-Juppé, elle a organisé une « Journée des soignants ». Quelques jours avant, son chef de fille a écrit aux deux finalistes de la primaire de droite, les incitant à « toujours privilégier le soin avant les nécessités économiques du moment ». Et il vient encore de s’adresser au vainqueur pour lui demander des précisions sur la place à venir des mututelles dans le système... À l’approche de la présidentielle, l’organisation se concentre pour le reste sur la gouvernance et le financement du système de soins. Deux sujets déclinés en quatre demandes d’engagement exigés des candidats. Tous les moyens sont bons pour se faire entendre...
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