Faut-il autoriser l'accès direct sans prescription aux masseurs-kinésithérapeutes des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pour améliorer l'accès aux soins ? Pour les kinés, la réponse est oui. Pour les médecins, c’est plutôt non.
Cette question agite la communauté soignante depuis le printemps 2023 et l’adoption de la loi santé de la députée Renaissance Stéphanie Rist, qui contient un article sur le sujet. On se souvient, avant le vote, d’un débat très houleux et, déjà, d’une levée de boucliers du corps médical craignant une « dérégulation du parcours de soins ». Résultat : un texte final largement retoqué.
La proposition de loi Rist confirme néanmoins, dans sa version finale, que la prise en charge directe des patients par les kinés peut se faire dans le cadre d'un exercice « coordonné » (maisons de santé, centres de santé, équipes de soins) mais hors communautés professionnelles (CPTS). À la place, une expérimentation dans six départements, dont deux Outre-mer, pour une durée de cinq ans, a été votée, incluant ces communautés. Les modalités de sa mise en œuvre doivent être précisées par un décret pris après l'avis de l’Académie nationale de médecine et de la Haute autorité de santé (HAS).
Garde-fous
Sauf que, huit mois plus tard, le processus est toujours freiné, voire bloqué. Ni le décret ni l’avis de l’Académie nationale de médecine n’ont été rendus.
Dans un avis récent, la HAS a pris, elle aussi, bien soin d'encadrer cette pratique (formation complémentaire, population adulte, certaines pathologies plutôt que d’autres), en s'appuyant sur les avis des Ordres et des conseils nationaux professionnels (CNP) des spécialités concernées.
Là encore, si les représentants des kinés soutiennent cette expérimentation, le corps médical n'a pas caché ses réticences à l’idée que l’accès direct aux kinés soit étendu aux soignants en CPTS. L'Ordre des médecins a considéré la CPTS comme non « pertinente » car ces collectifs ne sont pas « une structure d’exercice coordonné par le médecin », dit-il. « Être adhérent à la CPTS ne garantit pas une coordination clinique réelle hors protocole formalisant l'accès au médecin en temps opportun », a souligné pour sa part le CNP de rhumatologie.
Formation insuffisante
Autre crainte des sociétés savantes : l'insuffisance de la formation des paramédicaux pour assurer la sécurité des soins. Pour le CNP ORL par exemple, les kinés n'ont reçu qu'une « éducation très succincte » pour faire face à des situations complexes comme les vertiges chroniques ou les instabilités, particulièrement chez le sujet âgé. Le CNP médecine physique et réadaptation a mis en avant « les risques de retards et de mise en œuvre d'un programme thérapeutique inadéquat ». Les pédiatres ont appelé à la prudence dans la prise en charge éventuelle, chez les nouveau-nés et les jeunes nourrissons, de tout ce qui est pathologie type torticolis, plagiocéphalie.
Tout est fait pour tuer l'expérimentation dans l'œuf
Sébastien Guérard, président de la Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes (FFMKR)
Face à ces réserves, la HAS a émis plusieurs conditions à cette expérimentation : une formation complémentaire pour les masseurs-kinésithérapeutes diplômés avant 2019, ainsi qu’un enrichissement de la formation en « drapeaux rouges » pour toutes les situations pour lesquelles le patient peut consulter en accès direct. Elle devrait concerner uniquement la population adulte, être limitée dans la durée (huit séances par an pour les troubles musculosquelettiques par exemple). En termes de coordination, la HAS souligne l’importance « d'un mode de transmission des informations entre professionnels de santé et les modalités de coopération interprofessionnelle ».
« Corporatisme pur »
Partisan depuis le début de l'accès direct des kinés « pour libérer le temps médical », Sébastien Guérard, président de la Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes (FFMKR) a vivement réagi à cet avis. « C'est du corporatisme pur. Tout est fait pour tuer l'expérimentation dans l'œuf. Les restrictions comme la limitation du nombre de séances ne sont pas basées sur des fondements scientifiques », a déploré celui qui est aussi président de l'Union nationale des professionnels de santé (UNPS). « Dans ces conditions, je suis très pessimiste sur la mise en place de cet accès direct », avertit-il.
Même son de cloche de Guillaume Rall, président du Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes (SNMKR), qui pointe du doigt l'incompréhension d'une partie de la profession médicale pour l'accès direct. « On n’invente rien, peste-t-il, on veut juste essayer de cadrer quelque chose qui se fait déjà tous les jours ».
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