Le Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président du conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom), n’a guère apprécié les propos de Gabriel Attal et de Frédéric Valletoux agitant l’un et l’autre la menace d’un retour de l’obligation de gardes en cas de carence de la permanence des soins. « Des effets de manche et des coups de menton », tacle le généraliste de Pujols (Lot-et-Garonne). « La PDS-A est correctement dotée dans 24 territoires sur 25 », recadre-t-il, à la lumière du dernier bilan ordinal.
Il s’inquiète au passage du tour pris par la politique de santé du gouvernement qui s’apparente, juge-t-il, à un « bateau ivre ». Face à l’« émiettement » du système de santé, le vice-président de l’Ordre appelle à la réaffirmation du parcours de soins coordonné autour du médecin traitant.
LE QUOTIDIEN : Votre rapport sur l’amélioration de la PDS tombe à point nommé alors que le gouvernement agite la menace d’un retour aux gardes obligatoires… Est-ce la réponse du berger à la bergère ?
Dr JEAN-MARCEL MOURGUES : Si le sujet des difficultés qui lient les pouvoirs publics, l’Assurance-maladie, les professionnels de santé et l’institution ordinale se limitait à la seule compréhension de la permanence des soins ambulatoires, nous serions heureux. Les quiproquos seraient vite levés ! Ce rapport sur la permanence des soins va effectivement dans le bon sens dans la mesure où il démontre que, dans l’immense majorité des cas, les territoires sont correctement pourvus. Cette situation fait que les médecins ne sont pas dans l’obligation de faire des gardes et qu’ils se retrouvent dans le principe du volontariat.
Dans ce contexte, dire que trois médecins sur cinq ne remplissent pas les gardes et « vous allez voir ce que vous allez voir, demain ça ira mieux », ce sont des effets de manche et coups de menton ! Cela ne résiste pas à une analyse rigoureuse. La réalité, c’est que globalement, dans 24 territoires sur 25, la permanence des soins ambulatoires est correctement dotée. La question de la PDS-A est presque un faux problème.
Celle de l’accès à un médecin traitant pour la population, en revanche, n’en est pas un…
Là oui, c’est un véritable problème ! Nous sommes dans un pays de polyarchie. Le secteur de la médecine de ville, le secteur hospitalier, l’Assurance-maladie, l’État… l’ensemble du système de santé va mal. La réalité, c’est que nous n’avons plus assez de généralistes pour faire des soins primaires et de médecins spécialistes équitablement répartis dans le territoire. C’est une vérité aiguë.
Les réponses des pouvoirs publics avec l’ouverture de certains actes à des paramédicaux vous semblent-elles aller dans le bon sens ?
Il y a deux choses différentes. L’accès aux soins et, une fois qu’on y a accédé, la qualité du parcours de soins. Il y a au bas mot 15 millions de Français, dont 12 millions en ALD, qui ont besoin de soins récurrents toute l’année avec plusieurs professionnels de santé à leur chevet. Ce que nous disons, c’est qu’effectivement, il faut faciliter un parcours de soins coordonné, avec un sens donné à cette coordination et un leader qui est le plus souvent le médecin traitant.
Or, actuellement, ce que l’on voit, c’est l’émiettement, façon puzzle, du système de santé ! Il faut arrêter de faire en sorte que le patient esseulé, non expert, soit obligé de coordonner son propre parcours. En cela, les moyens ne sont pas donnés et ne répondent pas aux exigences de qualité, de sécurité et de traçabilité d’un vrai parcours de soins.
Quid du projet annoncé d’expérimentation d’un accès direct aux médecins spécialistes ?
Là encore, le gouvernement en rajoute une couche dans l’atomisation du parcours de soins. D’autant que les spécialistes eux-mêmes ne demandent pas cela. Ils feront face à un encombrement de patients puisqu’il n’y aura pas eu le tri préalable fait par le médecin traitant.
Le gouvernement entend-il vos arguments ?
Non, parce qu’il faudrait d’abord qu’il ait une bonne compréhension de la complexité du système de santé. Nous avons des pouvoirs publics qui mènent une politique de boutiquier pour répondre à des demandes catégorielles. Pour l’instant, le bateau est ivre, sans cap. C’est la double peine. Les gens ne sont pas soignés, et c’est un gâchis financier parce que des dépenses pourraient être évitées si le parcours était mieux coordonné.
Les cliniques ont annoncé une grève reconductible début juin pour protester contre l’évolution de leurs tarifs hospitaliers, jugée trop faible. Plusieurs syndicats de spécialistes libéraux les soutiennent, paralysant les négociations avec la Cnam. Sommes-nous à un tournant ?
La vie conventionnelle a 50 ans. Quand elle a vu le jour, le contexte économique était autrement porteur. Employeurs et employés co-finançaient le système et la structure du panier de soins n’était pas la même. Graduellement, l’introduction d’un discours comptable est apparue, dont la singularité fait que des partenaires comme l’Assurance-maladie sont les co-organisateurs tout en étant les financeurs.
Ce qui intellectuellement pose un vrai problème. À l’arrivée, nous sommes dans un éparpillement des acteurs qui pâtissent de l’absence de vision globale du système de santé et des solutions à apporter. La croisée des chemins, nous y sommes déjà, avec aussi la financiarisation croissante dans le champ de la santé, un comble ! Demain, les frais remboursés par la solidarité nationale ne vont pas servir à mieux soigner les gens et à valoriser les professionnels de santé mais à augmenter les profits de fonds de pension. C’est sidérant. Est-ce que pour l’État, la santé est un bien supérieur ?
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