Les négociations ont du plomb dans l’aile. Engagées depuis cinq mois, les discussions déjà âpres entre la Cnam et les médecins libéraux en vue d’une nouvelle convention pour cinq ans sont reportées sine die. Et pour cause : cinq syndicats sur six (Avenir Spé-Le Bloc, MG France, SML, FMF et UFML-Syndicat) ont officiellement quitté la table des discussions. Pas en reste, la CSMF accuse l’exécutif d’avoir « saboté » les négociations.
« Sidération », « consternation » : loin de mettre de l’huile dans les rouages, les annonces de Gabriel Attal pour lutter contre les déserts médicaux ont été vécues comme autant d’« attaques » contre la médecine libérale et le système conventionnel lui-même, qui régit les affaires de la profession dans un cadre négocié.
Le parcours de soins torpillé
Menace à peine voilée d’un retour de l’obligation de garde si la profession ne s’organise pas, expérimentations d’accès direct aux spécialistes et aux kinés, ouverture des vannes aux étudiants en médecine d’ici à 2027, taxe lapin… Le Premier ministre, ex-conseiller de Marisol Touraine, a voulu frapper les esprits et aller vite (la plupart des mesures sont annoncées pour cet été), s’adressant d’abord au grand public à travers la pression régionale, au risque de se mettre à dos la profession en train de négocier.
Matignon a balayé d’un revers de main nos efforts pour créer un système de santé cohérent basé sur le rôle central du médecin traitant
Dr Agnès Giannotti, MG France
Et cela n’a pas manqué. Même si plusieurs dispositifs évoqués par Gabriel Attal étaient en réalité déjà prévus, la délégation accélérée d’actes vers des non-médecins passe mal, qu’il s’agisse de la délivrance directe d’antibiotiques « dès juin » par le pharmacien pour les angines et cystites ou de l'accès direct aux kinés lancé dans 13 départements. Cerise sur le gâteau, l'expérimentation de l’accès direct aux médecins spécialistes a été perçue comme un autre chiffon rouge. Plusieurs syndicats – au premier rang desquels MG France – dénoncent une dérégulation du parcours de soins coordonnés autour du médecin traitant, dispositif introduit par la loi de 2004 et la convention de 2005. « Matignon a balayé d’un revers de main nos efforts pour créer un système de santé cohérent basé sur le rôle central du médecin traitant, s’étrangle la Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France. Qui peut croire que les patients résidant dans des déserts médicaux trouveront plus facilement un endocrinologue ou un chirurgien qu'un médecin généraliste ? Qui peut penser que l'accès direct au kiné va faciliter la prise en charge des patients âgés, peu mobiles, polypathologiques qui en ont pourtant le plus besoin ? »
G à 30 euros mais psychologues à 50 euros ?
Autre pilule bien amère : l’accès direct aux psychologues, avec une revalorisation de leur consultation de 30 à 50 euros (dans la limite de 12 séances par an) dans le cadre du dispositif Mon soutien Psy, jugé inopérant actuellement. Le SML n’a pas manqué de s’étonner de ce tarif alors qu’il est proposé 30 euros pour la consultation du médecin généraliste (bac +10) et 57 euros pour celle du psychiatre (bac +12)…
Quant à l’annonce d’une forte augmentation du nombre de médecins formés (16 000 à l'horizon 2027), elle inquiète aussi – notamment les jeunes – car l’arrivée de ces bataillons de carabins commande de s'en donner les moyens en nombre d'enseignants et en capacité d'accueil des facultés.
Dans ce contexte, les négociations sont suspendues « dans l'attente de clarifications et d'engagements forts sur le médecin traitant, le parcours de soins et le devenir du système conventionnel », précise MG France. Une situation de blocage qui fige de facto les discussions, avec le risque de reporter aux calendes grecques le choc d’attractivité promis au départ pour la médecine libérale.
Bras de fer
Le climat est d’autant plus orageux que la sortie de Gabriel Attal sur la médecine de ville est intervenue dans un contexte déjà explosif, avec la fronde inédite des cliniques et des spécialistes libéraux qui y exercent (lire encadré). Pas moins de quatre syndicats – dont Avenir Spé-Le Bloc, majoritaire – avaient claqué la porte de la négociation pour protester contre la campagne tarifaire 2024, jugée inique et humiliante pour le privé. « Le gouvernement attaque de front la médecine libérale spécialisée. Avec des tarifs aussi bas, veut-on sciemment faire disparaître le secteur libéral ? », résume le Dr Patrick Gasser, coprésident d’Avenir Spé-Le Bloc. Le raisonnement est simple : privées de marges, les cliniques déjà fragilisées par l’inflation pourraient rogner sur l’investissement, les équipements et le personnel. Le bras de fer est engagé avec l’appel des cliniques à une grève totale le 3 juin.
Dernière difficulté de taille pour les médecins : à qui s’adresser au gouvernement ? S’ils demandent naturellement des comptes au ministre délégué chargé de la Santé, Frédéric Valletoux (qui multiplie les rendez-vous) ou à sa ministre de tutelle, Catherine Vautrin, les sorties récentes de Gabriel Attal ou de Bruno Le Maire (sur les économies) ont compliqué l’équation. En attendant, le round conventionnel est bel et bien dans l’impasse.
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