Avis de gros temps en Seine-Saint-Denis. Plusieurs médecins généralistes libéraux se retrouvent en conflit frontal avec la caisse primaire d’assurance-maladie de leur département, qui leur réclame de rembourser jusqu’à 500 000 euros sur des actes de garde majorés qui auraient été facturés hors des clous.
À tel point que neuf maisons médicales (MMG) et deux points fixes de garde (PFG) ont informé l’agence régionale de santé (ARS), dans un courrier du 4 juin, qu’ils déposaient un préavis de « grève illimitée » des gardes et de « démission collective des tâches administratives » (des 11 médecins coordonnateurs). Ce mouvement est effectif depuis lundi 10 juin, 20 heures.
L’origine de ce conflit ? Non pas des pratiques illégales, plaident en tout cas les praticiens dans le viseur, mais plutôt un mauvais enchaînement de circonstances. Il y a deux mois, lors de la réunion de la commission paritaire locale, la caisse aurait d’abord fait mention de médecins facturant des actes fictifs, via la carte Vitale des patients. « Nous avons répondu qu’il fallait évidemment agir, et que c’était à la caisse de le faire ! », éclaire le Dr Georges Siavellis, généraliste, président CSMF de la CPL du 93.
Ce soupçon de fraude aurait conduit la présidente de la caisse primaire à analyser ensuite toutes les facturations de permanence des soins en maison médicale de garde. Jusqu’à déceler des facturations systématiques de majoration de régulation indues (normalement réservées aux seuls patients régulés)… « Six médecins ont été identifiés comme appliquant la majoration à tous les patients de manière systématique, répétée et organisée », a expliqué Aurélie Combas-Richard, directrice de la CPAM 93 au Parisien. En clair, le système de tarification aurait été contourné de façon délibérée.
Usage et accord tacite ?
Mais dans le courrier expliquant leur action de grève, les médecins actifs des MMG entendent au contraire démontrer leur bonne foi face à une caisse qui « semble les considérer comme des voyous ». « Depuis l’ouverture de la première maison médicale de garde du département en 2006, la tarification est la même et elle n’a pas été augmentée sauf pour le 1,50 euro du règlement arbitral », argumente le Dr Lahoueri Amor Chelihi, 43 ans. Ce généraliste installé depuis 2019 à Clichy-Sous-Bois fait partie des praticiens ciblés par la caisse qui lui reproche donc, comme à ses confrères, d’avoir appliqué des majorations illicites (CRN, CRD, CRS) puisqu’elles ne correspondent pas à des consultations régulées par le Centre 15. « Mais en Seine-Saint-Denis, s’explique-t-il, pour des raisons particulières au département – territoire précaire et déficitaire en offre de soins – l’usage, depuis l’ouverture de la première MMG il y a 18 ans, est de facturer les consultations avec une facturation unique qui sont celles d’une consultation régulée et c’est appliqué pour l’ensemble des MMG du territoire. »
Ce que confirme le Dr Siavellis qui, avec l’ARS et l’Ordre départemental, essaye de trouver une sortie apaisée dans ce bras de fer. Pas si simple : ce n’est pas le différentiel tarifaire (7,50 euros) entre consultation de PDS régulée et non régulée que la caisse veut récupérer mais les majorations elles-mêmes sur les deux dernières années d’exercice (janvier 2022-janvier 2024). Pour une consultation de PDS régulée, la majoration atteint 42,50 euros (de nuit 20h00 à 0h00/06h00 à 08h00), qui s’ajoutent aux 26,50 euros d’une consultation classique, soit 69 euros.
Addition très salée
Dans cette affaire, l’addition est donc salée. La caisse demanderait, selon les situations individuelles, 50 000 euros d’indus en moyenne. « En plus, cela revient à déconsidérer notre implication dans la PDS-A en évaluant les actes effectués dans le cadre de cette mission de service public à la même valeur que ceux que nous faisons la semaine dans nos cabinets », souligne le Dr Amor Chelihi, très remonté.
Le courrier adressé à l’ARS par le « collectif des effecteurs postés en PDS-A de la Seine-Saint-Denis », réclame ainsi l’annulation pure et simple des demandes de remboursement d’indus en cours, liées aux majorations (CRN, CRD, etc.) pour les médecins effecteurs postés ayant réalisé ces actes lors d’une garde en MMG et point fixe de garde. Ils souhaitent aussi un engagement écrit de la caisse locale et de l'ARS d’organiser une réunion avec les 11 responsables de MMG et points fixes, au plus tard le lundi 15 juillet 2024, pour clarifier le système de tarification et déterminer les « dérogations possibles ». Actes « autorisés », actes « interdits », homogénéisation des pratiques en effection postée : les médecins souhaitent « sécuriser juridiquement » leur activité. C’est d’autant plus nécessaire que la nouvelle convention médicale, tout juste signée, fait le ménage dans les tarifications dans le cadre de la permanence des soins, en favorisant les actes régulés.
Mais le soufflé départemental pourrait ne pas retomber de sitôt. Car pour la directrice de la caisse du 93, « on parle de certains professionnels qui ont totalement dévoyé le système ». Sur le terrain, la situation inquiète au plus haut point, y compris du côté du Samu qui presse l’ARS d’intervenir. « Si les MMG font grève entre 20 heures et minuit, cela va être une charge énorme pour le SAMU 93, confirme le Dr Siavellis. Ça représente 200 à 300 appels sur un créneau de quatre heures et on risque de passer à côté d’appels qui peuvent être très graves. »
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