Les médecins du travail, comme les généralistes, devraient jouer un rôle important dans la stratégie de déconfinement. Comme depuis le début de la crise sanitaire, ils seront notamment autorisés à délivrer des arrêts. Mais les professionnels de santé au travail s’inquiètent des conditions de reprise des travailleurs et ne veulent pas servir de caution à des mauvaises conditions de travail. Entretien avec le Dr Jean-Michel Sterdyniak, président du Syndicat national des professionnels de santé au travail (SNPST).
Quel rôle tiendront les médecins du travail dans la stratégie de déconfinement ?
Dr Jean-Michel Sterdyniak : Les médecins du travail connaissent leur boulot et savent ce qu’ils ont à faire, mais dans son allocution sur la stratégie de déconfinement, le Premier ministre n’a pas une seule fois parlé de leur rôle. Un protocole du ministère du Travail est sorti sur le déconfinement avec un catalogue de mesures. Certaines sont de bon sens, d’autres semblent un peu trop "gentilles", comme la distance imposée d'un mètre. Des problématiques ne sont pas du tout réglées comme celle des transports. Je regrette surtout qu’il n’y ait aucun moyen de contrôle sur les mesures à mettre en œuvre. On sent qu’il y a une discordance entre le ministère du Travail qui pousse pour qu’un maximum d’entreprises appliquent le retour en présentiel, et la position du ministère de la Santé ou même du Premier ministre. Le protocole indique aussi que le médecin du travail peut prescrire des arrêts mais le décret n’est pas encore paru. Il est quand même curieux que le ministère du Travail se fasse le propagandiste d’une mesure qui n’est pas pour l’instant réglementaire.
Vous alertez sur le fait que vous ne souhaitez pas que la médecine du travail serve de caution à un déconfinement dans des conditions sanitaires délétères. C’est-à-dire ?
Dr J.- M. S. : Il n’y a aucune concertation et consultation avec les professionnels de santé au travail. On nous demande de faire des arrêts de travail pour des personnes qui sont malades, suspectées de l’être ou à risque de faire une forme grave de la maladie. Qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce l'anticipation d’une mauvaise mise en place des mesures de prévention en entreprise ? L’attitude logique serait de dire qu’une entreprise qui ne met pas en place des mesures suffisantes ne devrait pas être autorisée à rouvrir. Ici, les entreprises vont rouvrir et ce sera à nous de dire qui pourra travailler ou non, compte tenu des conditions de travail. Cela nous paraît assez dangereux. Pouvoir faire des arrêts dans ces conditions à certaines personnes, c’est une forme de sélection de la main-d’œuvre, donc une caution à de mauvaises conditions de travail.
Le ministère du Travail avait laissé entendre en avril que les médecins du travail auraient un rôle à jouer dans la politique de tests. Qu’en est-il finalement ?
Nous avons l’impression que finalement le rôle des médecins du travail est complètement enterré. Aujourd’hui, il est davantage question de brigades spéciales pour s’en occuper. Même si le médecin du travail a toujours le droit de prescrire les examens qu’il estime nécessaires donc potentiellement des tests. Malgré tout, une chose positive à souligner dans ce protocole, c’est l’interdiction qui est faite aux entreprises de pratiquer des tests. Il est important qu’il soit rappelé que ce sont des actes médicaux qui doivent être prescrits par des médecins.
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