Décès de Naomi Musenga

Pr Frédéric Lapostolle : " quand il y a un accident, c’est généralement que plusieurs verrous ont sauté et c’est probablement le cas ici"

Par
Publié le 12/05/2018
Frédéric Lapostolle

Frédéric Lapostolle
Crédit photo : Amandine Le Blanc

Les conditions de la prise en charge, lors de son appel au Samu de Strasbourg,  de Naomi Musenga, décédée fin décembre, ont provoqué l’indignation, notamment de la ministre de la santé qui a demandé une enquête flash à l’Igas pour faire la lumière sur les circonstances de ce drame. Agnès Buzyn a également annoncé la tenue d’une réunion lundi prochain avec les organisations professionnelles et syndicales de médecins urgentistes afin d’évoquer les « améliorations nécessaires à apporter au fonctionnement du Samu ». Mais pour le Pr Frédéric Lapostolle, directeur médical adjoint du Samu 93, ce drame ne doit pas remettre en cause tout le système même si des améliorations doivent être apportées notamment sur la formation des assistants de régulation médicale. Entretien

Le Généraliste : Même si des enquêtes sont en cours, dans le cas de la prise en charge de Naomi Musenga, est ce qu’on peut déjà effectivement parler de dysfonctionnements ?

Pr Frédéric Lapostolle : Il n’appartient à aucun d’entre nous de dire s’il y a eu des dysfonctionnements, des fautes. Mais sur les informations dont nous disposons, la façon de communiquer avec le patient ne correspond pas à ce qu’on souhaite pour la prise en charge d’un appel d’urgence et ne correspond pas à ce qu’on apprend aux assistants de régulation médicale (ARM) d’une part et aux médecins qui vont faire de la régulation d’autre part. On leur apprend d’être à l’écoute, attentif, bienveillant, empathique, comme dirait la ministre. Lorsqu’on écoute cette bande, même si nous n’avons pas tous les éléments du dossier, ça semble faire défaut. Ce qui fait aussi défaut c’est la prise en charge de cet appel par un médecin régulateur. Les appels médicaux sont gérés et la décision est prise par un médecin et là il semble que cela ne soit pas le cas.

Quand il y a un accident, c’est généralement que plusieurs verrous ont sauté et c’est probablement le cas ici. La patiente passe par les pompiers qui ont toute latitude pour envoyer d’emblée un véhicule de premier secours, c’est ce qui est fait dans près de la moitié des cas, mais pas ici. La façon dont l’appel est transmis du pompier au Samu n’est pas adaptée non plus, la conversation avec l’ARM n’est pas adéquate, et il n’y a pas eu de transmission au médecin. De manière générale il faut faire en sorte que tous ces verrous soient fermés.

Dans le cadre régulier, quel est le rôle des ARM ?

L’ARM a une double mission, nous permettre de localiser précisément le patient, avoir connaissance du motif de recours et un minimum d’information sur la gravité potentielle. Cela permet de transmettre des informations qui vont donner un élément de contexte au médecin régulateur pour gagner un peu de temps dans la régulation et pour hiérarchiser les appels. Ils ont aussi toute latitude, dans des cas qui paraissent évidents comme relevant d’une prise en charge urgente, d’envoyer un véhicule de premier secours avant la régulation. Les seules décisions qu’ils sont autorisés à prendre sont des décisions d’intervention et jamais d’abstention.

Et quel est leur statut, est-ce qu’ils ont une formation médicale ?

Les ARM sont des agents administratifs. Ils sont embauchés à un niveau bac et ont malheureusement aujourd’hui pour l’essentiel, une formation souvent sur le tas par compagnonnage. Dans un deuxième temps ils reçoivent une formation d’adaptation à l’emploi, mais qui n’intervient qu’une fois qu’ils sont titularisés, ce qui dans la situation actuelle peut prendre du temps. Souvent ils reçoivent donc la formation après plusieurs années, une fois qu’ils sont embauchés. On met la charrue avant les bœufs, on les fait travailler et on les forme après. Il y a un vrai problème, pas de formation puisqu’elle existe, mais parce qu'elle n'est pas préalable.

Est-ce que c'est aussi un problème de moyens ?

Ce n’est pas compliqué d’entraîner les ARM, nous faisons des simulations d’appels et nous intégrons l’apprentissage des éléments fondamentaux de la médecine. Mais pour cela il faut pouvoir extraire des ARM pour les former pendant deux jours. Mais encore faut-il qu’ils soient en nombre suffisant. Dans le 93 par exemple, nous sommes 75 % du temps en sous-effectif d’ARM, donc je ne peux pas en plus les extraire pour les former. Par ailleurs pour qu’ils demeurent, pendant leur période de travail qui peut être longue, attentifs, vigilants, empathiques, il faut qu’il y ait des conditions de travail satisfaisantes. Je ne veux pas que sur ce qui est un dysfonctionnement potentiel, nous nous retranchions derrière des excuses de défaut de moyens, néanmoins, si l’on veut que ça marche bien, que les gens soient formés… il faut que les moyens soient en adéquation.

Est-ce que cette affaire est le signe d’un dysfonctionnement plus général du Samu ?

Je comprends bien que cela puisse faire plaisir à certains de le concevoir de la sorte mais, les Samu gèrent plus de 30 millions d’appels dans l’année et, en mettant de côté cet évènement, nous avons fait le choix que la régulation se fasse par des médecins, qui sont des êtres humains donc faillibles. Que nous nous trompions de temps en temps, c’est inévitable. En Seine-Saint-Denis, nous recevons un peu plus de 500 000 appels qui correspondent à la prise en charge de 250 000 patients. Donc 250 000 fois dans l’année un docteur prend une décision. Quelle que soit l’attention qu’il apporte au dossier, de temps en temps, y’en a un qui se plante. De plus nous avons un double risque quantitatif et qualitatif : nous avons plus de patients et chacun de ses patients a davantage de risques d’évoluer mal. Cela ne signifie pas qu’il faut se tromper et que ce n’est pas grave, il faut chercher les moyens de ne pas se tromper, mais il faut surtout faire sortir de l’esprit des gens qu’il est possible d’atteindre un risque zéro.

Les problèmes de prise en charge actuels en ville impactent-ils le fonctionnement du Samu ?

Personne n’imagine qu’il n’y a pas de relation entre la démographie médicale et le désinvestissement, quelles qu’en soient les raisons, de la médecine générale sur la PDS, et l’augmentation du nombre de sollicitations du Samu et des services d’urgence, c’est évident. Il y a un report d’une partie de l’activité qui était avant celle de la médecine générale, vers les structures d’urgence au sens large.


Source : lequotidiendumedecin.fr