Entretien

Dr Thierry Lardenois, président de la Carmf : « Nous risquons de perdre 1,8 milliard d’euros »

Publié le 02/02/2018
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A la tête de la Carmf depuis deux ans, le généraliste encourage les médecins à poursuivre leur activité en vue d’une pension majorée plutôt que d’opter pour le cumul emploi-retraite. Il s’inquiète aussi d’une décision gouvernementale qui pourrait « faire perdre 1,8 milliard d’euros » à la Caisse, jusqu’à l’épuisement de ses réserves.  
Lardenois

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Crédit photo : DR

Le nombre de médecins retraités augmente. Ils sont 65 000 pour environ 125 000 cotisants...

Dr Thierry Lardenois Nous avons anticipé ce papy-boom. Il y a 20 ans, le CA a constitué des réserves, s’élevant aujourd’hui à 6,47 milliards d’euros. Cela assure aux médecins une retraite sereine. La Cour des comptes a d’ailleurs affirmé il y a trois ans que la retraite des médecins libéraux était la meilleure parmi les professions libérales françaises.

Combien de temps ces réserves vous permettront-elles de tenir ?

Dr T. L. Nous commençons à pomper dans ces réserves pour verser les retraites à nos allocataires. Rien d’imprévu à cela. Avec cet argent, nous avons réalisé des placements mobiliers et immobiliers, d’un rendement d’environ 3 %. Nous envisagions de les poursuivre jusqu’à l’épuisement total de nos réserves. Or, le gouvernement, inquiet d’un éventuel krach financier, a sorti en août un décret pour nous obliger à placer ces réserves en obligations et autres fonds sécurisés.

Quelle est la conséquence de cette décision ?

Dr T. L. Au lieu de 3 % de rendement, nous aurons au mieux 1 %. Cela va forcément réduire la durée du stock. Si nous ne parvenons pas à faire comprendre aux pouvoirs publics que cet adossement est une erreur, nous risquons de perdre 1,8 milliard d’euros, jusqu’à l’épuisement de nos réserves. Dans ce cas, la Caisse devra augmenter les cotisations. Mais je ne me résoudrai pas à augmenter la pression sur les plus jeunes générations ni à baisser les pensions des plus anciens. Je continuerai à me battre. Des négociations sont en cours.

La retraite en temps choisi séduit-elle ?

Dr T. L. Le démarrage n’est pas aussi bon qu’espéré. Nous peinons à faire comprendre l’intérêt de cette retraite en temps choisi, par manque de communication sur les aspects techniques notamment. Beaucoup ont choisi le cumul emploi-retraite (14 000). Ils pensent qu’ils vont toucher leur retraite et avoir une soulte en travaillant. Mais cette dernière est soumise à cotisations et impôts. Au final, après 12 ou 13 ans, le cumul est largement perdant. Un médecin qui part à 65 ans a une espérance de vie de 20 ans. Comme elle augmente, on peut parier que l’option du temps choisi lui sera favorable.

Quels sont vos autres projets ?

Dr T. L. Outre la réforme de la retraite en temps choisi, nous avons porté l’indemnité de décès de 40 000 à 60 000 euros. Mon troisième projet serait de supprimer le délai de carence des trois mois, pénalisant pour les jeunes générations, mais nous sommes freinés par les arcanes juridiques. Le ministère s’oppose à ce que les assureurs privés assurent les trois premiers mois de maladie dans le cadre d’un GIE que nous avions proposé.

Quelles sont vos relations avec les syndicats ?

Dr T. L. D’emblée, j’ai souhaité établir de bonnes relations avec les syndicats. J’ai été peiné qu’au moment de quitter la présidence de MG France, le Dr Claude Leicher ait affirmé avoir « mis fin à la politique démagogique de la Carmf ». De quoi parle-t-il ? Laisser le médecin choisir l’âge de sa retraite, accorder 60 000 euros à son conjoint quand il décède, créer des réserves… Ce n’est pas de la démagogie ! Mais dans l’ensemble, les relations sont bonnes. Tous les syndicats siègent au conseil de la Carmf.

Retraite en temps choisi, mode d’emploi

Entrée en vigueur le 1er janvier 2017, la réforme de la retraite dite “en temps choisi” (dans le régime complémentaire et ASV) vise à inciter à la prolongation d’activité. Le principe consiste à abaisser l’âge “normal” de départ à 62 ans avec un montant correspondant à 87 % de la retraite à 65 ans. Un coefficient de majoration annuelle de 4,3 % s’applique alors pendant trois ans (permettant d’atteindre 100 % du montant du taux plein actuel). Ce coefficient passe à 2,6 % par an entre 65 et 70 ans pour récompenser ceux qui travaillent plus longtemps. Ainsi, à 68 ans, un médecin reçoit aujourd’hui 107,8 % du montant de la retraite à 65 ans.

 

Propos recueillis par Christophe Gattuso

Source : lequotidiendumedecin.fr