Retraites

Régime spécial pour les médecins

Publié le 20/09/2013
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Attention, une réforme peut en cacher une autre… Alors que les médecins pensaient échapper à la réforme du gouvernement, celle-ci, présentée mercredi au Conseil des ministres s’attaque à la gouvernance de la CARMF. Et, un malheur n’arrivant jamais seul, tout l’équilibre des cotisations risque d’être modifié demain. Tout le monde en convient… même si personne n’est d’accord !

Ils croyaient peut-être y échapper. Mais, finalement, les médecins libéraux seront bel et bien concernés par la réforme des retraites. Le coup de théâtre a eu lieu le 5 septembre lorsque le projet de loi a été dévoilé. Au moment où l’allongement de la durée de cotisation à 43 ans (au lieu de 41,5 ans) ainsi que la hausse de leur montant se trouvait mentionnée noir sur blanc pour les salariés, c’est sur le volet gouvernance que les libéraux se trouvaient affectés. En effet, selon la première mouture de la réforme Ayrault, le directeur de la CNAVPL ne sera plus nommé par le conseil d'administration, comme c’est le cas aujourd’hui, mais directement désigné par l’État par arrêté ministériel ! Une mesure qui, si elle est appliquée, modifiera en profondeur les règles du jeu des Caisses qui, jusqu’ici autonomes, se retrouveraient, d’une certaine façon, mises sous tutelle de l’État. « Ne nous méprenons pas, répondent en chœur, dans une lettre ouverte aux parlementaires, les dix présidents de la Caisse d’assurance vieillesse des professions libérales, l’article 31, sous couvert de bonne gestion, c’est la porte ouverte à une remise en cause de l’indépendance et de l’autonomie des régimes des libéraux. »

Ce n’est pas tout, outre le changement de mode de gouvernance, l’article 31 prévoit que le rôle de la CNAVPL soit renforcé : « La gestion du régime d’assurance vieillesse de base des professionnels libéraux et la gestion des réserves du régime » lui seraient, en effet, directement confiés. Troisième point de changement, le conseil d’administration de la CNAVPL exercera désormais, toujours si le projet de loi est voté, « un pouvoir de contrôle sur les caisses de base », autrement dit, pour les médecins, sur la CARMF. Cette annonce a bien évidemment cueilli son président à froid. « On veut nous mettre des menottes ! », s’égosille Gérard Maudrux qui joue les Cassandre : pour lui, ce n’est qu’une question de temps. Les nouvelles règles de nomination du directeur de la CNAVPL s’appliqueront, tôt ou tard, également à la CARMF. Pour la première fois,

Gérard Maudrux évoque également la possibilité de donner sa démission… Pourtant, le patron de la CARMF s’était montré très combatif au cours de l’été en ripostant aux attaques des syndicalistes. À l’époque, le président de la CSMF et celui de MG France n’avaient pas hésité à tirer à boulets rouges sur Gérard Maudrux quand un rapport de l’IGAS, qui avait fuité dans la presse, remettait en cause la gestion de la CARMF.

Une douloureuse… mais de quel montant ?

Cette reprise en main institutionnelle de la gouvernance de la CNAVPL et, par ricochet, de la CARMF préfigurerait-elle de nouvelles réformes pour la retraite des médecins ? Possible. En tout cas, des propositions ont été faites avant que Jean-Marc Ayrault ne dévoile ses arbitrages pour le régime général le 27 août dernier. Pour le régime de base, qui représente 19 % de la retraite des médecins, le changement serait même « imminent » à en croire le président de la CSMF, Michel Chassang, qui parle déjà, à ce propos, de « douloureuse ». Sans surprise, d’après un document présenté lors du Congrès de la CARMF samedi dernier, pour équilibrer le régime de retraite des médecins, la CNAVPL propose une réforme qui prévoit une nouvelle hausse des cotisations. Ainsi, pour la première tranche, le taux devrait passer, l’année prochaine, de 9,75 % à 10,1 % et de 1,81 % à 1,87 % pour la deuxième tranche. Comme en 2013 (quand pour le régime de base le taux est passé de 8,6 % à 9,75?% pour la tranche 1 et de 1,6 % à 1,81 % pour la tranche 2) les cotisations vont donc s’alourdir une fois de plus en 2014.

Mais la CNAVPL a également proposé une autre réforme qui pourrait rentrer en vigueur dès 2015. Elle prévoit deux cotisations et une modification de l’assiette : une première, de 0 à un plafond de la Sécurité sociale avec un taux de 8,23 % et une deuxième de 0 à 5 PSS avec un taux de 1,87 %.

« En augmentant le plafond jusqu’à un PSS, on obtient automatiquement des cotisations supplémentaires. Cela permet de rééquilibrer financièrement le régime sans toucher au taux de cotisation », explique le directeur de la CARMF, Henri Chaffiotte.

Bien que nécessaire à ses yeux, la reforme du régime de base reste « indépendante de la réforme actuelle du régime général », affirme Gérard Maudrux pour qui elle serait due, essentiellement, « à un déséquilibre du régime de base causé par la compensation nationale ». Une partie des cotisations des médecins sert, en effet, à alimenter des régimes de retraite déficitaires. Selon lui, les médecins doivent s’attendre à une hausse d’environ 30 % sur quatre ou cinq ans, « beaucoup plus en tout cas que pour les salariés », souligne-t-il.

« Cela va se traduire par des hausses de cotisations mais aussi par une obligation de travailler plus longtemps et par des pensions amoindries », râle, de son côté, Michel Chassang de la CSMF. D’aucuns, à l’inverse, observent que si la réforme Ayrault devrait s’appliquer pour l’allongement de la durée de cotisation

– 43 ans nécessaires pour bénéficier du taux plein –, elle ne devrait guère avoir d’impact sur les médecins libéraux qui partent à la retraite tardivement, vers 67 ans. « Les médecins ne seront pas directement concernés par ce qui a été annoncé par le Premier ministre », estime le président de MG France, Claude Leicher.

Pour ou contre la «?retraite Maudrux?» à la carte ?

Attention, une réforme peut en cacher une autre… Les changements pourraient être encore plus radicaux en ce qui concerne le régime complémentaire qui représente 42 % du montant de la retraite des médecins. Dans ce cadre, où elle a les mains libres, la CARMF a fait voter, fin juin, une proposition de réforme baptisée « retraite à la carte ». En quoi consiste-t-elle ? « On calcule la retraite à 65 ans minorée de 15 % si on part

à 62 ans. À l’inverse, on applique une surcote de 5 % par année supplémentaire au delà de 65 ans », explique Gérard Maudrux. Son idée qui peut paraître, au premier abord, novatrice et pragmatique est loin de faire l’unanimité auprès des syndicats. Le leader de la CSMF parle même d’« enfumage ». Il s’agirait, selon lui, de « faire travailler les médecins un an de plus », c’est-à-dire jusqu’à 66 ans. Même son de cloche du côté de MG France où Claude Leicher évoque un travestissement : « Gérard Maudrux a simplement habillé sous ces termes le fait que les médecins devront décaler leur départ », dit-il. Mais il y a pire, clame le président du syndicat de généralistes : ce faisant Gérard Maudrux aurait « rompu le pacte », « cassé la barrière des 65 ans », « ouvert la porte aux pouvoirs publics pour faire la même chose avec les autres régimes ». « Si vous partez à 62 ans, vous perdez 15 % de votre retraite, si vous partez à 65, vous perdez 3 % », estime-t-il.

Le document de la CARMF confirme ces calculs. La valeur du point passerait de 77,40 euros avant réforme à 65,79 euros après, une diminution de 15%. Pas de panique cependant. Pour être effective, cette proposition devra être approuvée par un arrêté ministériel. Or, selon Éric Bouchard, il y a peu de chances que cette proposition soit retenue par le gouvernement. Trésorier adjoint du SML, ce généraliste de Menton, dans les Alpes-Maritimes pense « le plus grand mal » de la « retraite à la carte ». « C’est une solution pas terrible et peu compréhensible, dit-il. Je sais que ce n’est pas populaire mais la seule solution pour pérenniser ce régime de retraite, c’est d’allonger la durée de cotisation ».

ASV, le dossier est-il clos ?

Enfin, pour l’ASV, qui représente tout de même 39 % de la retraite des médecins, pas de surprise. Pour ce régime sauvé fin 2011, sous Sarkozy, par l’ancien ministre de la Santé Xavier Bertrand, il n’y aura pas, a priori, de changement mais une montée en puissance de la réforme actuelle. Même si pour les médecins de secteur 1 la Sécu rembourse les deux tiers des cotisations, l’augmentation progressive de la cotisation forfaitaire et de la cotisation proportionnelle est au menu jusqu’en 2017.

Sans attendre le point d’étape prévu pour 2015, Gérard Maudrux revient à la charge en proposant de décliner là aussi son projet de retraite à la carte. « Nous avons proposé au gouvernement de faire pour l’ASV la même chose qu’on a décidé pour le régime complémentaire », affirme le président de la CARMF. Une obstination qui fait bondir le patron de la Conf’ qui accuse celui de la CARMF d’« abus de pouvoir » et continue de réclamer, une nouvelle fois, sa démission. « La réforme de l’ASV a été adoptée par les partenaires conventionnels, ça ne le regarde pas. Gérard Maudrux a failli à sa mission. Nous disons stop et demandons à l’État de réaliser un audit ». Dans ce concert de critiques, Jean-Paul Hamon fait cavalier seul en affichant un positionnement plus proche du président de la CARMF par rapport à ses confrères syndicalistes : « Arrêtons de cotiser à fonds perdus, conservons les droits acquis et cessons de faire de l’ASV un outil de chantage conventionnel ».

« Faut-il un bonus retraite pour tenir compte de la pénibilité des gardes? » Réagissez sur redaction@legeneraliste.fr

Giulia Gandolfi, giulia.gandolfi@gpsante.fr

Source : lequotidiendumedecin.fr