« Fini la confiance ! » Au procès en appel du Mediator, à Paris, plusieurs victimes ont expliqué avoir désormais beaucoup de mal à se fier aux médecins et aux médicaments, après la « tromperie » qu'elles estiment avoir subie de la part des laboratoires Servier. Le deuxième groupe pharmaceutique français et son ex-numéro deux sont rejugés depuis début janvier pour homicides et blessures involontaires, obtention indue d'autorisation de mise sur le marché, escroquerie et tromperie aggravée.
L'accusation estime notamment que Servier a sciemment caché la dangerosité du Mediator aux autorités sanitaires, aux médecins et aux patients, ce que le laboratoire conteste. Commercialisé comme antidiabétique en 1976 mais aussi prescrit indûment comme coupe-faim jusqu'à son interdiction en 2009, le Mediator a entraîné de graves effets cardiovasculaires chez des milliers de patients, dont certains sont décédés.
« J'ai une haine grandissante envers les laboratoires Servier et le sentiment d'avoir été prise pour un cobaye », lance à la barre Chantal, étendant sa « perte de confiance » à l'ensemble du monde médical. Cette Landaise de 61 ans a pris du Mediator pendant un an, entre 2006 et 2007, dans le cadre d'un essai clinique des laboratoires Servier, demandé par les autorités sanitaires pour évaluer les risques liés à la prise de ce médicament. Les résultats de cette étude, baptisée Regulate, contribueront largement au retrait du Mediator. L'essai étant réalisé en aveugle, Chantal ne savait pas qu'elle prenait du Mediator, mais seulement un « traitement contre le diabète ». « J’étais un peu réticente, mais j’ai fait confiance, parce que c'était mon médecin de famille », se souvient-elle.
Valvulopathie
En 2010, elle consulte un cardiologue qui détecte une atteinte d'une valve cardiaque caractéristique de celles causées par le Mediator. Son médecin lui confirme alors que c'est le médicament qu'elle a pris. « À l’époque, j’étais gérante et propriétaire d’un restaurant-bar-PMU. J’ai été obligée de vendre en 2017 : je pouvais plus monter les étages, je pouvais plus m'occuper correctement des clients. J’en ai gros sur la patate », déplore Chantal, qui déploie malgré tout énergie et humour devant la cour d'appel.
Parmi les participants à l'essai Regulate, dont beaucoup ont été recrutés à l'étranger, cette blonde aux cheveux courts est la seule à s'être constituée partie civile. « Je n’ai jamais signé pour avoir une valvulopathie », s'indigne-t-elle, montrant le protocole qu'elle a signé, qui ne mentionne pas ce risque parmi les effets secondaires possibles. La plupart des parties civiles - essentiellement des femmes, souvent issues de milieux modestes - n'avaient jamais entendu évoquer un risque lié au Mediator jusqu'au retrait du marché.
Refus de vaccination
« J'en ai parlé à mon médecin traitant. Il m'a répondu que c'était de la comédie, qu'il ne fallait pas croire ce que l'on dit », rapporte l'une d'elles, dans une lettre lue à l'audience par son avocate. Après réception d'un courrier de l'agence du médicament les invitant à réaliser une échographie cardiaque, certains racontent s'être heurtés à l'hostilité de leur cardiologue. « On saura réellement ce que vous avez à l’autopsie », aurait ainsi répliqué « un éminent cardiologue » à Chantal.
« Je lui ai dit que j'avais pris le Mediator. C'était comme si je lui avais dit quelque chose de pas bien, il m'a répondu "Oh, mais vous allez pas mourir du Mediator". J'étais choquée », raconte une autre victime, qui voulait savoir si la « fuite minime » détectée sur l'une de ses valves cardiaques ne s'était pas aggravée. Par crainte des effets secondaires, elle explique avoir longtemps refusé de se vacciner contre le Covid, tout en se sachant à risque de développer une forme grave de la maladie, en raison de son diabète et de son surpoids.
La pneumologue Irène Frachon, qui avait révélé l'ampleur du scandale en 2010, avait estimé lors de son témoignage, la semaine dernière, que l'affaire du Mediator et le manque « d'enseignements tirés » au niveau des autorités sanitaires et « de la question de conflits d'intérêts » alimentaient « la défiance et le complotisme de nos concitoyens ». En juillet 2021, la lanceuse d'alerte s'était prononcée publiquement en faveur de la vaccination contre le Covid, déplorant que « le Mediator et son nom soient utilisés comme une caution » par les mouvements hostiles à la vaccination.
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