« J’ai retrouvé ma liberté », « nous ne sommes pas des paillassons » : aux assises du déconventionnement, des médecins en secteur III se livrent et se lâchent

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Publié le 06/03/2023
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Crédit photo : S.Toubon

Ceux-là n’ont plus besoin d’être convaincus. Lors des premières assises du déconventionnement, réunies ce week-end à Paris, à l’initiative de l’UFML-S, une demi-douzaine de praticiens libéraux en secteur III ont livré à la tribune ou en visio leurs témoignages de médecins déconventionnés, assumant totalement leur choix, racontant avec force détails cette « liberté » conquise et s’employant à répondre aux questions de leurs confrères.

« J'ai fait mes propres négos, ça s'est bien passé »

« Je faisais des consultations d’une demi-heure facturées 49 euros et puis j’ai fait mes propres négociations devant mon ordinateur le 31 décembre et j’ai augmenté à 55 euros, les négos se sont très bien passées », raconte le Dr Bruno Paliard, généraliste dans les Deux-Sèvres, déclenchant l’hilarité et les applaudissements des 700 médecins de la salle. Pour les visites, ses tarifs oscillent entre 69 et 100 euros, selon la distance et la gravité. Ce médecin, qui pratique aussi des échographies et a exercé auparavant en Suisse, explique avoir pris goût dans ce pays à une médecine « plus lente et de qualité ».

Pour les plus démunis, les chômeurs et les étudiants ? « On a un code de déontologie, on s’adapte, on soigne et c’est gratos », assure-t-il, soulignant que tous ses patients sont prévenus via Doctolib qu'ils seront remboursés sur la base du tarif d'autorité (dérisoire). Il limite son activité à une « quarantaine de consultations par semaine », pour un chiffre d’affaires de « 8 500 euros par mois ». « La Sécu, ça n’est pas le Graal ni la vérité absolue. J’ai repris goût à mon métier de médecin en Suisse et j’ai conservé ce goût en étant non conventionné », plaide-t-il.

« J'ai dit à ma directrice de caisse que tout était fini entre nous »

Ophtalmologiste dans le Maine-et-Loire, en milieu rural, ex-conventionnée en secteur 1, la Dr Paule Annick Ben Kemoun a basculé en secteur III en 2017. Elle raconte son ancien agenda auparavant « ingérable » (un an de délai) et son état mental « limite en burn-out » avec des « charges qui grimpaient et un chiffre d’affaires qui stagnait ». L’impossibilité de choisir le secteur II, la stagnation du tarif de la consultation et surtout la loi de santé de Marisol Touraine l’ont convaincue de franchir le Rubicon. « J’ai dit à ma directrice de caisse que tout était fini entre nous », glisse-t-elle.

Bilan de ces six années hors convention, un agenda « facile à gérer, à 15 jours, beaucoup moins de stress, une meilleure image de moi et un énorme sentiment de liberté ». Même si elle explique que la situation a été très difficile financièrement les deux premières années. « Au début, mes patients ont cru que j’étais partie en retraite… ». Aujourd’hui en cumul emploi-retraite, avec une consultation à 50 euros, elle a retrouvé un bénéfice comparable à celui de son exercice conventionné mais, insiste-t-elle, « je passe plus de temps avec mes patients, j’ai retrouvé le plaisir de travailler, je n’ai plus du tout envie de déplaquer et ça, je ne l’avais pas prévu ! ».

« Une lettre à la Sécu et on a la liberté »

Rhumatologue à Poitiers et spécialiste de médecine du sport, ex-secteur I, le Dr Antoine Rose expose à son tour son burn-out en 2012 et la certitude, alors, de devoir sortir d'une convention aux allures, selon lui, de carcan. « La loi de 2015, ce n’était pas possible et je me suis libéré en mai 2020 », lâche-t-il lui aussi sous les applaudissements. « Une lettre à la Sécu et on a la liberté de nos honoraires. Pour moi c’est 75 euros la consultation simple, 60 euros quand je revois les gens, 100 euros avec une infiltration et 50 euros pour les CMU. Évidemment, on fait aussi des actes gratuits et ça ne pose aucun souci. » En tant que spécialiste en secteur III, ce praticien déclare faire « beaucoup de "one shot" ». Il se désole de la démographie catastrophique en rhumatologie et assume son choix. « Nous n’avons pas à subir les conséquences de tout ça », explique-t-il.

« Le refus de faire de l'abattage »

Gynécologue médicale dans le Val-d’Oise, la Dr Caroline Leroux a d’abord eu une longue expérience du secteur public hospitalier pendant 20 ans. « J’en avais marre de bosser la boule au ventre, d’être pressurisée par l’administration, c’était l’enfer. » Elle s’installe en libéral en 2017 mais le choc est brutal. « Très vite, j’ai compris que ma façon d’exercer était incompatible avec cette convention et l’obligation de faire de l’abattage. » Spécialisée en sénologie, colposcopiste et membre du réseau endométriose de Paris, elle effectue alors des consultations très longues, sous-tarifées à ses yeux. « Au bout de deux mois, mon comptable m’a dit de retourner à l’hôpital, j’allais de plus en plus mal. »

Le déremboursement de certains actes de colposcopie fut la goutte d’eau. « On n'est pas des paillassons, lance-t-elle. J’ai dit stop, je me déconventionne, c’était ça ou je déplaquais. » Comme d’autres, cette gynécologue explique s’être « libérée, je vais enfin bien et le regard de mes patientes a changé ». Ses tarifs ? Elle les ajuste en fonction du temps passé et de la technicité, de 40 euros (renouvellement) à 80 euros (suivi).

« Ne pas s'en faire une montagne »

Autre témoignage édifiant, celui du Dr Jean-Marc Sène, médecin du sport à Paris, pratiquant l’ostéopathie et la mésothérapie, qui n’a même jamais été conventionné. Longtemps salarié, il se lance en libéral en 2012. Mais sa rencontre avec sa référente de l’Assurance-maladie le convainc aussitôt… de rester à l’écart de la Sécu. « Vu ma pratique, je lui ai dit que je n’allais pas signer sa convention, elle m’a rétorqué que les patients ne viendraient pas me voir. Je lui ai dit que j’allais quand même essayer… », raconte-t-il face à une salle conquise.

« Les patients viennent nous voir parce qu’ils sont malades pas parce qu’ils sont remboursés », affirme-t-il, quand le DG de la Cnam souligne au contraire que la sortie du système conventionnel solidaire fait reposer l’accès aux soins « sur les moyens financiers du patient ». Mais ce praticien explique prendre 30 à 45 minutes pour honorer son « obligation de moyens » et défend à ce titre ses tarifs libres, qu’il adapte à ses charges ou à l’inflation. « Ce qui ne coûte rien n’a pas de valeur, or nous avons beaucoup de valeur ». Il précise que l’exercice hors convention ne permet pas de gagner plus d’argent : « On va gagner autant mais on aura une vie plus agréable, le déconventionnement, il ne faut pas s’en faire une montagne. »

Ne plus avoir affaire aux Rosp

Dernier témoignage : celui du Dr Pascal Maillé, médecin du sport, spécialiste de traumatologie sportive, qui raconte son parcours de conventionné secteur I, travaillant « un peu à la chaîne », avant d'associer une activité de salariat (responsable du centre médical de Clairefontaine) et une part de « libéral à 40 % ». Son déclic pour basculer hors convention ? Une « lettre de menace » de la Sécu lorsqu'il prenait des « petits dépassements » exceptionnels de 5 ou 10 euros.

« J'avais dit que si je recevais un tel courrier, je me déconventionnerais, un mois plus tard, ils avaient ma lettre », lâche-t-il. C'était en décembre 2019. Même s'il admet que c'est plus facile de faire ce choix en fin de carrière, « quand vous êtes bien répertorié dans votre discipline », il tient le même discours que ses confrères du secteur III. « J'ai repris ma liberté, celle de prendre du temps, de ne plus avoir affaire aux Rosp, de proposer des projets thérapeutiques. Aujourd'hui, on met la majorité des confrères dans des conditions où ils ne peuvent plus exercer leur art correctement du fait de cette convention indigne », estime le praticien.


Source : lequotidiendumedecin.fr