Malgré le tollé des syndicats et de l'Ordre des médecins, redoutant « une médecine à deux vitesses » ou au rabais, l'Assemblée nationale a adopté mercredi l'ouverture d'un « accès direct » des patients aux infirmiers en pratique avancée (IPA), mesure phare de la proposition de loi sur l'accès aux soins, portée par la députée Stéphanie Rist.
Voté en première lecture (62 voix contre 3), ce texte donne la possibilité à ces IPA exerçant dans le cadre d'un exercice « coordonné » (au sein de structures comme les équipes de soins, les maisons de santé, les centres de santé et les communautés professionnelles territoriales de santé – CPTS) de prendre en charge des patients sans passer par la case médecin. Ce n'est « pas une fin en soi mais la première marche de la refondation de notre système de santé », a assumé le ministre de la Santé François Braun dans l'hémicycle.
Le statut d'IPA, créé via la loi Touraine de 2016 et un décret en 2018, avec un diplôme bac+5, vise notamment à réduire la charge de travail des médecins en élargissant les compétences de certains infirmiers sur des pathologies ciblées. Ces IPA pourront aussi effectuer des primoprescriptions pour certains produits de santé et prestations dont la liste sera fixée par décret pris en Conseil d'État « après avis de la Haute Autorité de santé » (HAS). La proposition de loi crée et différencie aussi deux types d’IPA – « praticiens » pour « les pathologies bénignes » en soins primaires et « spécialisés » pour les « pathologies complexes » .
Propos scandaleux
« Ce texte répond à deux objectifs : lutter contre les déserts médicaux et améliorer l'accès aux soins », a plaidé la rapporteure du texte et rhumatologue, Stéphanie Rist. La députée du Loiret (Renaissance) a condamné au passage les « propos scandaleux » tenus par les adversaires de ces évolutions des métiers et des compétences. « Tous les jours, on a entendu des propos traitant les IPA de "troufions". On doit rester dans un débat respectueux », a-t-elle recadré.
Devant un hémicycle clairsemé, la députée macroniste a repoussé plusieurs amendements qui visaient à encadrer ou limiter ces accès directs au sein des CPTS, sous la forme par exemple « d'un contrat de coordination des soins ». Tout juste a-t-elle fait voter un amendement visant à inscrire les modalités de prise en charge et de coordination dans le projet de santé de la CPTS.
Conflit
Le vote de ce texte risque d'ouvrir un nouveau conflit avec la profession, les organisations de médecins libéraux ayant exprimé fortement leur désaccord depuis plusieurs jours. MG France a mis en garde contre un texte « dangereux et inadapté » qui promeut « une médecine où des professionnels de santé sont interchangeables sans une quelconque prise en compte de la qualité des soins ». Dans la même veine, la CSMF a dénoncé un accès direct aux IPA « en dehors de tout exercice coordonné et protocolisé ».
Très remonté, l'UFML-Syndicat voit dans la loi Rist un « vaste mensonge » et une « ubérisation » de la médecine libérale. « Construire une loi sur l’existence "d’actes simples" et de "renouvellement d’ordonnance", c’est nier ce qui fait l’essence même de la pratique de la médecine générale, tonne le syndicat du Dr Jérôme Marty. Une formation parcellaire à la médecine ne suffit ni à l’examen clinique, ni au diagnostic, ni à la prescription médicale ! » Le collectif « Médecins pour demain » estime qu'avec ce texte, « on prend clairement le chemin d'une médecine dégradée où on cherche à remplacer le médecin par les infirmiers et où les premiers victimes, ce sont les patients ».
La proposition de loi Rist sera examinée par le Sénat le 14 février.
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