Plus de 3 000 praticiens roumains exercent en France. Leur arrivée massive depuis l’adhésion de leur pays à l’union européenne en 2007 n’est pas passée inaperçue. Si les exemples d’intégrations ratées en cabinet libéral sont médiatisés, l’intégration de centaines de praticiens à l’hôpital est passée sous silence. Qui sont ces médecins qui ont traversé l’Europe, où exercent-ils et quelles sont leurs motivations ? Enquête.
Au 1er janvier 2012, 18 642 médecins à diplôme étranger (UE ou hors UE) exerçaient régulièrement sur le territoire français selon les dernières statistiques de l’Ordre des médecins. Parmi eux, 16 % sont d’origine roumaine, soit 3 095 praticiens. La Roumanie est la deuxième nation la plus représentée parmi les médecins étrangers en France derrière l’Algérie (4 232 praticiens), et devant la Belgique (1 733). Contrairement aux idées reçues, ces médecins roumains exercent majoritairement en tant que salarié (73 %). Un sur cinq est en libéral (21 %) et 6 % d’entre eux ont un exercice mixte. Ces médecins à diplôme roumain sont majoritairement représentés (et par ordre décroissant) en Alsace-Lorraine, en Franche-Comté, en Champagne-Ardenne, en Auvergne, en Bretagne, en Basse-Normandie, en Rhône-Alpes et en Poitou-Charentes. L’Ile-de-France arrive loin derrière après l’Aquitaine, la Picardie et le Limousin. Mais ces chiffres sont incomplets. « Plusieurs milliers de médecins ne figurent pas au tableau ordinal », reconnaît le Dr Patrick Romestaing, président de la section santé publique et démographie médicale à l’Ordre. La législation est en cause, qui permet à un chef de service hospitalier d’avoir sous sa responsabilité des médecins « qui n’ont pas le cursus adéquat, venus en France parfaire leur formation, et qui exercent sans être inscrits au tableau ».
Le solde des entrées pour l’année 2011 est tout aussi instructif. Sur les 1 658 médecins titulaires d’un diplôme obtenu hors de France et qui se sont inscrits au tableau cette année-là, les Roumains étaient les plus nombreux. 465 praticiens venaient de Roumanie (28 %), 282 d’Algérie (17 %), 83 de Syrie (5 %) (mêmes chiffres pour l’Italie et la Belgique).
Après plusieurs années de hausse du nombre de médecins roumains arrivant sur notre territoire, l’Ordre observe depuis quelques mois un tassement, voire une légère baisse du nombre de ces nouveaux entrants.
Bon nombre d’idées reçues.
Tout comme le « plombier polonais », il y a quelques années, le médecin roumain véhicule bien des idées reçues. La qualité du cursus ? Le Dr Patrick Romestaing indique que « le niveau de formation, les terrains de stage, ne sont pas tous égaux sur le territoire français, et c’est la même chose en Roumanie ». L’ordinal ajoute que « certains praticiens roumains sont en grande capacité de complétude professionnelle ». Il faut comprendre qu’ils ont des facilités pour s’adapter aux particularités de l’exercice hexagonal. De toute façon, conclut-il, « la Roumanie est membre de l’Union européenne, on ne peut donc s’opposer à leur exercice sur notre territoire ».
Le Dr Romestaing déplore en revanche le choix et le lieu d’exercice de ces médecins. « Ils exercent très majoritairement en salariat, dans des régions où la densité médicale est assez haute, explique-t-il. Ils ne constituent donc pas une réponse à la désertification ».
Les médias regorgent d’anecdotes relatives à des médecins roumains, fraîchement installés en libéral, qui dévissent leur plaque au bout de quelques mois. Tel ce praticien, installé aux Ancizes, dans le Puy-de-Dôme, recruté par une agence et parti au bout de quelques mois. Mais l’analyse du cas a fait apparaître que l’agence avait mal évalué les besoins médicaux locaux, et que le praticien ne recevait guère de patients. À Belleville-sur Saône, dans le Rhône, une généraliste roumaine était venue s’installer début 2012. Fin novembre, elle a dévissé sa plaque. « Elle ne se plaisait pas, confie un autre omnipraticien de la petite ville, elle est repartie en Roumanie ».
Le Dr Romestaing ne s’étonne guère de cette situation. « Ces praticiens sont parachutés sur un territoire, mais doivent tout connaître, que ce soit le paiement à l’acte, les procédures, la télétransmission, ou la complexité administrative avec les caisses. Si vous n’êtes pas bien préparé, c’est une épreuve ».
On peut par ailleurs citer bon nombre d’installations réussies, comme celles, récentes, du Dr Brasoveanu dans le Lot-et-Garonne, ou du Dr Danila (voir ci-dessous) dans le Var. Deux implantations dans lesquelles les agences de recrutement ne sont pas intervenues.
En milieu hospitalier, les recrutements de médecins roumains se passent généralement mieux. « Dans un cadre hospitalier, le médecin fait partie d’une équipe, ce qui lui permet de compéter plus facilement sa formation. Il n’est pas tout seul », indique le Dr Romestaing. Un médecin hospitalier, qui a été président de CME, assure compter entre 7 et 10 praticiens roumains dans son établissement, et en être très satisfait (voir ci-contre). La directrice des affaires médicales d’un autre hôpital, citée par « La Croix », est plus mesurée sur le recrutement d’un anesthésiste roumain, du fait de son « manque de polyvalence ». Mais ce grief, isolé, pourrait tout aussi bien s’adresser à un praticien français.
Les agences en question.
Selon Sophie Leroy, responsable de l’agence de recrutement ARIME, le business des agences se déplace actuellement vers les pays du sud de l’Europe, durement touchés par la crise. « Les médecins roumains connaissent maintenant la filière française », croit savoir un praticien anonyme, et n’ont plus besoin d’intermédiaires pour émigrer ». La responsable de l’ARIME joue franc jeu sur ses prestations. « Nous sommes l’agence la plus chère, mais nous offrons un vrai service. Nous ne nous contentons pas de remettre au maire ou au patron de CME une liste de CV comme le font beaucoup. Nous accompagnons le candidat à l’installation ». Résultat, des tarifs qui peuvent surprendre. « Il est vrai que nous avons un peu baissé nos prix, poursuit-elle, mais pour certaines spécialités pointues, nous pouvons aller jusqu’à 45 000 euros ».
Le Dr Romestaing ne goûte guère cette activité. « Il y a un commerce qui s’établit autour des besoins médicaux non satisfaits, et le résultat n’est pas toujours au rendez-vous. Mais l’Ordre ne peut pas faire plus ». Quant au Dr Mihaileanu, président de l’association des médecins roumains en France, son jugement est encore plus lapidaire. « Ces agences sont grassement payées pour débaucher des médecins roumains. Ce sont des négriers. Elles peuvent aussi inciter un praticien à quitter son pays en bousculant une décision qui n’était pas mûre. Un médecin contacté n’était en réalité pas prêt à s’exiler mais l’agence a fait un peu pression sur lui pour des raisons financières ».
Dans une note d’analyse de décembre 2012, le Centre d’analyse stratégique, qui dépend du Premier ministre, propose de « dresser une liste d’agences agréées pour recruter des professionnels de santé à l’étranger ».
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