Démographie : une louche de coercition

Publié le 12/09/2011
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LE RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES

Pour l’édition 2011 de ses travaux sur la Sécu, la Cour des comptes multiplie les cibles. Du côté de la médecine libérale, les limites de la politique de lutte contre les déserts médicaux sont dénoncées ; les sages sont partisans d’une ligne plus dure. À l’hôpital, les tarifs sont sur la sellette, ainsi que les CHU jugés trop choyés par les pouvoirs publics. Le déficit de l’assurance-maladie est quant à lui devenu « un poison lent » dont il faut « se désintoxiquer ».

C’EST UN PAVÉ dans la mare de la démographie médicale que la Cour des comptes vient de jeter. Son dernier rapport sur la Sécurité sociale, qui consacre un chapitre à la répartition des médecins (le deuxième en quatre ans), est plus proche du remède de cheval que de la méthode douce.

Certes, la Cour ne dramatise pas le tableau : nombre inégalé de praticiens actifs, densité médicale record, difficultés « territorialement ciblées »... Mais la modification des modes d’exercice, le fait que la disponibilité des généralistes libéraux « s’est réduite », l’existence surtout de disparités marquées au niveau infradépartemental – entre zones rurales isolées et pôles urbains par exemple – poussent les « sages » à envisager plus de bâton et moins de carotte, exactement le contraire de la doctrine gouvernementale actuelle et de la nouvelle convention signée en juillet.

Des aides sans portée réelle.

Les politiques actuelles de régulation, lit-on dans le rapport, ont un impact « insuffisant ». Le numerus clausus ? Sa modulation régionale « n’est pas l’instrument le mieux adapté », dès lors que la liberté d’installation demeure. Les ECN, qui ont remplacé l’internat ? Le système aboutit à un nombre

« élevé de postes non pourvus ». La filiarisation de la médecine générale enfin n’empêche pas les réorientations, conduisant de nombreux diplômés à fuir l’exercice de la médecine de premier recours.

Si la formation initiale connaît des ratés, quid des mesures incitatives financées par l’État (exonérations fiscales et sociales), les collectivités territoriales (aides à l’installation ou au maintien, bourses) ou la Sécu (avenant 20 octroyant un bonus de 20 % sur les honoraires des généralistes exerçant en groupe en zones déficitaires) ? La Cour est sévère : « une multiplicité d’aides sans portée réelle », des dispositifs « redondants et concurrents ». L’avenant 20 est étrillé : la prime aurait constitué un « effet d’aubaine » pour ses 773 bénéficiaires (27 000 euros en moyenne par médecin), pour un apport « net » de 50 généralistes dans les secteurs sous-médicalisés. Deux autres dispositifs sont épinglés : le contrat d’engagement de service public (CESP, bourse de 1 200 euros par mois pour les carabins qui s’engagent à exercer dans un désert) qui n’a convaincu que 146 étudiants ; et le cumul emploi-retraite qui a séduit surtout des... spécialistes en Ile-de-France et en PACA !

Les infirmiers, l’Allemagne, le Québec...

Au fil des pages affleure le jugement réprobateur des magistrats : « Aucune mesure contraignante n’a pu être mise en œuvre et la liberté d’installation est restée totale. » Le rapport cite alors, par contraste, le choix d’autres pays de restreindre cette liberté – l’Allemagne, l’Autriche, le Québec, l’Angleterre ou la Suisse – ou, en France, le dispositif infirmier négocié en 2008 qui conditionne tout nouveau conventionnement dans les zones surdotées au départ préalable d’un infirmier conventionné.

Puisque chez les médecins les outils « ne sont pas à la hauteur des enjeux », il convient de changer de braquet. D’où les mesures plus contraignantes avancées par la Cour telles que la modulation de la prise en charge des cotisations sociales en fonction du lieu d’implantation (pour les généralistes et spécialistes, y compris ceux déjà installés), une nouvelle cartographie des zones fragiles fondée sur un « temps d’accès [maximum] à un médecin généraliste et si possible à un spécialiste » ou encore la baisse des « redoublements de complaisance » aux ECN et une réflexion sur la diminution du numerus clausus. Sans oublier la révision « qui s’impose » des dispositifs incitatifs... Dans un communiqué, la CSMF, premier syndicat de médecins, a condamné la vision « coercitive » de la Cour, invitant le gouvernement à faire confiance à la convention plutôt qu’aux « comptables ».

 CYRILLE DUPUIS

Source : Le Quotidien du Médecin: 9001