La Lozère brise le tabou de la liberté d’installation

Le conseil général veut des mesures contraignantes

Publié le 11/12/2008
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LE TABOU est tombé, et de quelle manière ! À l’initiative d’un de ses conseillers généraux, le conseil général de Lozère vient de rendre publique une motion, votée à l’unanimité, qui prévoit ni plus ni moins que d’en finir avec la liberté totale d’installation. Tout au moins pour les futurs jeunes diplômés que le département propose de contraindre à exercer pendant deux ou trois ans, à l’issue de leur cursus universitaire, dans des zones déficitaires en offre de soins.

Le document rendu public est on ne peut plus clair : « Au-delà des mesures incitatives, les élus attendent du gouvernement un dispositif plus contraignant pour obliger les médecins fraîchement diplômés à s’installer pour une période donnée dans les secteurs déficitaires ». Le texte, qui parle plus loin d’ « exercice obligatoire de la médecine » dans ces zones, précise d’ailleurs que le système contraignant, « qui doit être défendu désormais auprès des parlementaires, pourrait venir en complément des dispositifs incitatifs proposés par l’URCAM [Union régionale des caisses d’assurance-maladie]  » et des lois actuellement en vigueur.

Pragmatisme.

Le président du conseil général, l’UMP Jean-Paul Pourquier, précise au « Quotidien » que « cette initiative est en contradiction avec nos convictions libérales, mais il faut savoir être pragmatique ». Selon lui, « les mesures incitatives ont montré leurs limites » et si rien n’est fait, il craint une désertification de l’offre de soins libérale dans son département.

Le président du conseil général de Lozère ne s’en tient pas à la publication de cette motion : « Nous souhaitons que notre prise de position débouche sur du concret. Nous avons donc saisi un certain nombre de parlementaires ainsi que madame Bachelot pour qu’elle se transforme en projet de loi. Nous allons continuer notre opération de lobbying car il nous semble qu’avec le projet de loi HPST, nous avons en face de nous une opportunité ». Le ministère de la Santé

n’a pas encore réagi à cette initiative, mais Jean-Paul Pourquier n’en est pas moins optimiste et ne désespère pas de voir son idée intégrée au projet de loi de Roselyne Bachelot, à la faveur d’un amendement déposé pendant son examen par la représentation nationale.

Le plus piquant dans cette affaire est que le conseiller général à l’initiative de cette motion est le Dr Pierre Aldebert, par ailleurs ORL de son état. Le Dr Aldebert est le seul ORL libéral à exercer en Lozère et, selon lui, il dispose dans son seul cabinet de près de 100 000 dossiers patients. Contacté par le « Quotidien », il justifie sa position : « Cela fait dix ans que nos campagnes se désertifient. Si on ne fait rien, dans dix ans, on n’en sera plus à obliger les jeunes diplômés à exercer dans une zone sous-médicalisée, on interdira tout simplement aux médecins de s’installer dans les zones bien dotées ». Pour lui, faire cette proposition ne constitue nullement une révolution : « au contraire, assure-t-il, aller exercer dans les zones sous-dotées quand on est jeune médecin est un dû à la société ».

A l’URML Languedoc-Roussillon, la présidente, Dominique Jeulin-Flamme, regrette tout d’abord de n’avoir pas été destinataire de la motion du conseil général. Plus généralement, si elle comprend la problématique, le Dr Jeulin-Flamme estime néanmoins que « l’obligation n’est pas la bonne solution ». La présidente de l’URML ajoute sur ce sujet qu’il est injuste de dire que les mesures incitatives ont montré leurs limites : « il est encore trop tôt pour le dire ». Le Dr Jeulin-Flamme n’est cependant pas contre de « très fortes incitations » pour amener les jeunes diplômés dans les zones sous-médicalisées, « mais à condition qu’ils puissent y trouver des médecins, généralistes et spécialistes, avec de l’expérience, pour les encadrer. Il faut aussi que ces très fortes incitations ne soient pas réservées à ceux qui s’installent, mais aussi à ceux qui continuent à exercer dans ces zones ».

Côté syndicats, la réaction ne s’est pas non plus fait attendre. A la CSMF, le président Michel Chassang dit « comprendre le souci des élus locaux » mais estime qu’ « il ne faut pas perdre son sang-froid en remettant en cause la liberté d’installation, d’autant que si ces zones sous-médicalisées existent, elles sont rares, et plus personne ou presque n’y vit ». Quant au SML, par la bouche de Dinorino Cabrera, il estime qu’ « une éventuelle régulation à l’installation ne peut pas se faire uniquement à l’encontre des jeunes diplômés, mais pour toute nouvelle installation, et il faut prévenir dès maintenant les étudiants en médecine que si les mesures incitatives prises actuellement ne fonctionnent pas, des mesures drastiques pourraient être prises ». Enfin, du côté de MG-France, le Dr Martial Olivier-Kœhret juge cette proposition « irresponsable ». « Tout signal coercitif, dit-il, accélèrerait la fuite des acteurs. Il faut au contraire revaloriser la médecine générale et ne pas donner à penser aux généralistes qu’on cherche à les punir. »

Le conseil général de Lozère rénit tous les médecins du département le 19 décembre prochain pour leur présenter cette motion.

 HENRI DE SAINT ROMAN

Source : Le Quotidien du Médecin: 8479