Les « non-médecins » font bouger les lignes

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Publié le 25/11/2022
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Transferts d'actes, accès direct, « référent » : pharmaciens, infirmiers et kinés poussent pour élargir leurs compétences. Les sages-femmes mettent plutôt en avant l'adaptation de leur formation.

Comment se positionnent les différentes professions de santé sur les nouveaux partages d'actes et d'activités, voire l'accès direct ? Si le cadre interpro est mis en avant, chacun pousse ses pions.    

Les pharmaciens misent sur les soins non programmés

« Nous ne voulons rien piquer aux médecins ! », assure Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), qui préfère parler de « partage de missions ». Après avoir développé depuis une dizaine d’années les entretiens pharmaceutiques, après la vaccination grippe et Covid-19, les officinaux ont vu depuis novembre leurs compétences encore élargies aux vaccins et rappels des plus de 16 ans : diphtérie, tétanos, poliomyélite, coqueluche, papillomavirus humains, hépatite A, hépatite B, méningocoque ABCYW, pneumocoque, rage. Leur nouvelle convention entérine également le « pharmacien correspondant », qui pourra renouveler un traitement chronique ou adapter les posologies. « C’est intéressant dans le cadre d’une équipe de soins coordonnée », cadre Philippe Besset. Un dispositif de suivi des malades chroniques « qui reste à la main du médecin », insiste le pharmacien de Limoux. Les demandes de soins non programmés sont un autre champ visé. « Nous cherchons à répondre à l’aigu », justifie Philippe Besset, qui plaide pour que certains médicaments à prescription médicale obligatoire puissent être dispensés « en accès direct, après avis du pharmacien, et sur protocoles ». Fosfomycine ou triptans, par exemple. « Je pense à des molécules antalgiques ou à des anti-infectieux », précise le pharmacien. « Si vous avez une rage de dents le week-end avec un œdème buccal, on pourrait donner un antibiotique et un antalgique de palier II, le temps que le patient aille voir le dentiste, le médecin ne pourrait pas faire mieux ».

Les infirmiers à fond sur l'autonomie

« On ne veut pas squeezer le médecin », affirme aussi Patrick Chamboredon, président de l'Ordre national des infirmiers (ONI), qui salue le « travail réformateur et le courage » de son homologue de l'Ordre des médecins au sein du Clio. Mais le cap est fixé : exit le décret d'actes obsolète de 2004, l'objectif est de reconnaître l'ensemble des missions infirmières déjà assurées et d'entériner de nouveaux transferts. Avec la volonté de gagner en autonomie, d'obtenir un accès direct sur un rôle propre élargi et une capacité reconnue de diagnostic, grâce à un nouveau « décret de compétences » (dont les travaux s'ouvriront en 2023).

Pour l'Ordre infirmier, la « levée des freins d'accès » est la priorité. C'est pourquoi il  demande la reconnaissance de l'infirmier référent en ville. Il plaide également pour de nombreuses consultations en accès direct : certificats de décès, d'arrêt de travail et d'aptitude à l'activité physique ; renouvellement de traitement, ajustement de posologie et examen biologique en lien avec ces prescriptions, avec notamment les anticoagulants oraux et injectables, le traitement antidiabétique ou les antalgiques ; prescription de produits pharmaceutiques nécessaires à la réalisation des pansements et des activités courantes, réalisation de tests de diagnostic… Les requêtes portent aussi sur la primo-prescription des vaccins par les infirmiers. Il convient aussi de tirer les leçons de toutes les expérimentations en inscrivant ces actes dérogatoires dans les compétences. Enfin, l'Ordre veut consacrer le rôle pivot des IPA (accès direct, autonomie) et développer les IPA de premier recours. Tout un programme, même si le patron de l'Ordre infirmier l'assure : « Pas question de sortir le médecin traitant, ce n'est pas l'enjeu ».

Kinés : accès direct encadré

Depuis 2014, la présidente de l’Ordre des kinés, Pascale Mathieu, souhaite que « tous les Ordres se mettent autour de la table pour redéfinir une organisation du système de santé ». Cheval de bataille : l’accès direct aux kinés, sous conditions. Ils bénéficient de deux protocoles de coopération l’un pour la lombalgie, l’autre pour la torsion de cheville. « Le kiné voit le patient en première intention, évalue la situation, prescrit une imagerie, un arrêt de travail ou certains produits de santé », détaille Pascale Mathieu. Le tout dans le cadre d’un exercice coordonné. Prochaine étape souhaitée, l'accès direct  « pour tout ce qui relève du musculosquelettique ». Un partage de missions qui se fait déjà au Royaume-Uni. En contrepartie, Pascale Mathieu imagine un système d'alertes « qui nous permettent de réorienter vers le médecin ». Après des années à batailler, elle attend que les positions du Clio soient déclinées sur le terrain. « Il y a urgence ! Passons à l’accès direct au kiné tout de suite, arrêtons les expérimentations », plaide-t-elle. 

Les sages-femmes veulent une pause

Pour les sages-femmes, l'enjeu est déjà d'assimiler les évolutions de la dernière décennie. « Nos compétences ont énormément évolué, avec la possibilité d’assurer le suivi gynécologique des femmes en bonne santé », explique Éléonore Bleuzen-Her, secrétaire générale du Collège national des sages-femmes (CNSF). IVG médicamenteuses, frottis, vaccinations et désormais expérimentation des IVG instrumentales… « On peut s’arrêter là pour l’instant en termes de compétences, sourit la sage-femme libérale. Nous avons dû demander une 6e année de formation car nous n’arrivions pas à tout acquérir ». Elle concède que ces transferts « ne se sont pas toujours passés en douceur, certains syndicats de gynécologues nous accusaient de brader la santé de femmes ».

Depuis 2022, les sages-femmes sont autorisées à prescrire et administrer une poignée de vaccins aux nouveau-nés, sujet qui fait débat. « C’est une alternative dans les déserts médicaux, mais je pense que les pédiatres et les généralistes doivent rester la référence pour le suivi pédiatrique », pondère Éléonore Bleuzen-Her. Les maïeuticiennes ont en revanche fait la demande d’un statut de « sage-femme référente » qui puisse être « la praticienne de référence pour la coordination du suivi de la grossesse ».

Léa Galanopoulo et Cyrille Dupuis

Source : Le Quotidien du médecin