Contributions

Lettre ouverte à Madame Brigitte Dormont, Professeur d’économie à Paris Dauphine

Publié le 23/04/2015
Article réservé aux abonnés

Madame,

J’ai écouté votre intervention à « France Culture » du 19 avril dernier. Vos interventions sont toujours, hélas, sans surprises : vos thèmes de prédilection, sont définitivement et inlassablement les médecins libéraux ces gens bien trop payés, qui prescrivent trop et très mal… Vous les détestez si ouvertement que vous ne parvenez même plus à vous en cacher. J’aimerais un jour qu’on invite à ces émissions concernant la santé des économistes qui n’aient pas votre vision imprégnée d’un socialisme archaïque datant d’un autre siècle.

Vos propos sont à l’image des propos de notre ministre de la Santé : vous mentez éhontément par les interprétations mensongères des études que vous citez.

L’accès aux soins : on connaît tous cette étude IRDES. Vous savez pertinemment que les 20 % de renoncement aux soins concernent les soins dentaires et l’optique et aucunement les soins chez le généraliste : à 23 euros la consultation remboursée dans les 4 jours, il n’y a pas de renoncements aux soins en France pour des motifs financiers. Le seul motif de renoncement aux soins en France est le délai des rendez-vous.

Vous vous félicitez, (non vous jubilez) du vote de la loi santé. Le tiers payant, je vous cite « change totalement de paradigme puisque ce sont les financeurs qui vont payer les médecins ». « Cette loi est un marqueur de gauche qui ne coûte rien budgétairement. » Sauf que vous savez parfaitement que les centres mutualistes ne survivent que grâce aux subventions. Selon l’étude que vous ne pouvez pas ne pas connaître – mais votre mauvaise foi habituelle vous empêche de la mentionner –, « La place des centres de santé dans l’offre de soins parisienne » (Richard Bouton Consultants), le coût du TP, c’est 4,38 euros par acte soit 20 % des revenus d’un généraliste avec 5 % de rejets des actes et impayés, soit 25 % des revenus d’un généraliste. Donc oui, le TP a un coût qui devra être supporté par les cabinets médicaux.

Même la ministre n’aurait pas osé

Je continue, vous dîtes : « Le TPG, c’est la mort annoncée de la médecine libérale et c’est une bonne chose. » « L’intérêt principal du TP c’est la dépendance des médecins vis-à-vis des financeurs ». « Les médecins vont dépendre maintenant pour tout, leur niveau de vie, etc.… des financeurs. » Même la ministre n’aurait pas osé prononcer de telles phrases… Mais vous, son bras armé, vous osez maintenant dire une vérité que Madame Touraine a soigneusement cachée : « Le niveau de vie des médecins va dépendre des financeurs ! » Vos propos sont d’une extrême gravité et scandaleux. Oui ! Nous médecins ne voulons pas dépendre des financeurs et nous en tirons une grande fierté. Nous nous opposerons toujours à cette mesure (le TPG) pour la seule et unique raison que nous avons une éthique. Nous voulons soigner le patient en face de nous, non pas en fonction de paramètres économiques mais en fonction de ce qui est le mieux pour lui. Cela s’appelle le respect de la déontologie. L’assujettissement aux financeurs est le motif principal qui a fait descendre 50 000 médecins dans la rue le 15 mars.

Et votre haine continue à se déverser à propos du testing. « Le plus incroyable pour moi, ça montre bien ce que sont les médecins libéraux : le refus du testing… Comment les médecins ont eu le front de refuser le testing… Les Français doivent être au courant… Les médecins ont des relais inouïs au niveau du parlementaire… » « Le problème de médecins est qu’ils refusent de se conformer aux ARS. » « Il faut arrêter le paiement à l’acte en France. »

Ce que vous décrivez s’appelle le salariat

Madame Dormont, maintenant, il faut aller jusqu’au bout de votre raisonnement : puisque la médecine libérale doit mourir, puisque le médecin ne doit plus être payé à l’acte, puisqu’il doit obéir aux financeurs et respecter des objectifs économiques que lui auront fixés les tutelles, alors, Madame Dormont, ce que vous décrivez s’appelle le salariat. Je vous demande solennellement d’intervenir auprès de Madame la ministre de la Santé pour négocier rapidement le salariat des médecins libéraux. L’État devra racheter nos cabinets, ainsi il les mettra aux normes accessibilité handicapés à ses frais. Naturellement, il devra nous être appliquée la même grille de salaire qu’un médecin contrôleur en CPAM et les mêmes droits que tout salarié : 35 heures de travail hebdomadaire, congés payés, retraite à 62 ans calculée sur les 6 derniers mois, pas de jour de carence en cas d’arrêt maladie.

Oui, Madame Dormont, dans ce cas je signe tout de suite… Et surtout, informez les Français : dites leur bien que ce ne sera plus 6 mois pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste mais 1 an. Nous, médecins nous vous tiendrons personnellement responsable des retards de diagnostic et de leurs conséquences.

Si Madame Touraine refuse ce deal : alors laissez-moi ma liberté… Je ne veux pas être payée par les mutuelles, je refuse le TPG, je veux prescrire en mon âme et conscience sans une tutelle pour me dicter mes prescriptions et dites-vous bien que les médecins ne sont pas les escrocs que vous décrivez. Si plus de 90 % d’entre nous sont contre celle loi, c’est qu’il y a de bonnes raisons. Avez-vous aussi remarqué que nous ne revendiquons aucune augmentation tarifaire ? Je sais (car je commence à avoir l’habitude de vous lire) que c’est un angle d’attaque dont vous vous seriez délectée… Dernière chose, Madame Dormont, à salir une profession à chaque fois que vous prenez la parole, vous en devenez ridicule.

Recevez Madame Dormont, mes cordiales salutations

* Dermatologue secteur I, membre de la Société française de dermatologie, déléguée UFML 35, adhérente FMF
Par le Dr Nicole Cochelin*

Source : Le Quotidien du Médecin: 9406