« AUJOURD’HUI, quand on interroge les patients, on se rend compte que quatre motivations principales sont mises en avant pour justifier un dépôt de plainte contre un médecin : le désir de le sanctionner ; la recherche d’une indemnisation ; la volonté d’avoir des explications, les patients ayant eu le sentiment d’un manque d’égards du praticien ; le souhait d’éviter à d’autres patients d’être victime de la même erreur », explique, en préambule, le Pr Jean-Jacques Pessey (CHU de Toulouse), expert près la Cour d’Appel et expert national auprès de la Commission Régionale de Conciliation et d’Indemnisation (CRCI).
Pour apprécier l’évolution du nombre de requêtes juridiques contre des médecins, il existe principalement deux sources d’information : le rapport de la MACSF (Mutuelle d’assurance du corps de santé français) -SOU médical, un des principaux assureurs des praticiens libéraux et le rapport de la SHAM (Société hospitalière d’assurances mutuelles), qui assure 72 % des établissements publics de santé et 73 % des centres de lutte contre le cancer. Les derniers rapports disponibles, pour ces deux assureurs, sont ceux de 2008.
Les actes chirurgicaux au premier plan.
« En 2008, la SHAM a recensé 4 523 réclamations liées à des préjudices corporels pour cause médicale. Elles concernaient essentiellement les services de chirurgie avec 3 073 préjudices (70 %) pour de l’orthopédie, de l’obstétrique, du viscéral, de la neurochirurgie, de l’ORL… On a recensé aussi 594 réclamations pour les urgences, 493 pour des services de médecine, 291 pour d’autres services et 70 pour la réanimation », détaille le Pr Pessey, en précisant que la SHAM a mis au point, à partir de 1998, un indice de fréquence des déclarations. « Au départ, ils ont fixé cet indice à 100. De juin 1998 à juin 2009, cet indice a augmenté de 56 points avec un certain nombre de variations dans le temps. On a notamment assisté à une nette augmentation des réclamations entre 2003 et 2004 avec un pic de 168 points en 2004. On peut expliquer cette augmentation par l’installation des CRCI en 2004, qui a entraîné une hausse du nombre de réclamations. Ensuite, après 2004, la situation a un peu régressé avant de se stabiliser », explique le Pr Pessey.
Neuf condamnations en ORL.
Sur les 4 523 réclamations adressées à la SHAM, 91 ont abouti à une condamnation en chirurgie orthopédique, 32 en chirurgie viscérale, 23 en gynécologie et 9 en ORL. « Sur ces 9 condamnations, on trouve d’abord 5 fautes médicales, essentiellement en chirurgie (cervicotomie, chirurgie de l’oreille moyenne, chirurgie endonasale…), 2 défauts d’information, 1 défaut d’organisation, 1 hépatite post-transfusionnelle », souligne le Pr Pessey.
Par ailleurs, en 2008, parmi l’ensemble des médecins assurés à la MACSF-Sou médical, 2,5 % ont déclaré un sinistre. Parmi ces médecins déclarants, on trouve 44 % de chirurgiens. Au total, l’assureur a recensé 630 décisions de justice (596 au civil, 34 au pénal) et 198 avis de saisine des CRCI. « Si on examine les 630 décisions de justice, on constate une sévérité accrue des juges par rapport à la constance des conclusions des CRCI. Ainsi, en 2008, le, pourcentage de condamnations devant les CRCI a été de 33 %, soit exactement le même qu’en 2004. En revanche, le pourcentage de condamnations devant le juge est passé de 50 % en 2004 à 67 % en 2008. Pour en avoir parlé avec quelques juristes, on peut dire que c’est un phénomène assez général parmi les professions libérales : les architectes ou les avocats sont concernés de la même façon que les médecins », indique le Pr Pessey. « Le point significatif est quand même le fait qu’en 2004, un médecin sur deux, mis en cause par un patient, avait un risque d’être condamné. En 2008, c’est le cas de deux praticiens sur trois », ajoute-il.
En ce qui concerne ces 630 décisions de justice, la chirurgie, sans surprise, arrive en tête (25 %) suivie de l’anesthésie, de l’obstétrique. « L’ORL arrive assez loin derrière avec 3 % mais ce qui est important est surtout le fait qu’en 2008, pour la première fois, l’ORL est entrée dans le « top 10 » des indemnisations les plus lourdes financièrement, celles qui atteignent près du million d’euros. Cette année-là, un médecin ORL a été condamné lourdement pour une brèche ostéoméningée après une chirurgie endonasale », indique le Pr Pessey.
Des plaintes pour retard diagnostique.
Au total, 1 473 médecins ORL libéraux sont sociétaires à la MACSF-Sou Médical. En 2007, 77 déclarations ont été faites parmi ces ORL. « Un élément peut être pris en compte, c’est celui de la sinistralité. Elle repose sur la déclaration des accidents corporels pour 100 sociétaires sur une période d’activité donnée. En 2007, cette sinistralité pour les ORL était de 7,5 %. En 2008, elle a légèrement baissé pour atteindre 6,4 % », précise le Pr Pessey.
Parmi les 77 déclarations, 5 concernaient un problème de retard diagnostique en cancérologie. « C’est quelque chose de tout à fait nouveau. Il y a dix ans, on ne voyait pas ce type de requêtes. Même si ces plaintes n’aboutissent pas toujours à des condamnations, c’est incontestablement un phénomène à prendre en compte », souligne le Pr Pessey. Sinon, parmi ces 77 déclarations, on recense aussi 8 plaintes pour un problème de surveillance ou de traitement, essentiellement en otologie, 2 pour la prise ou l’administration de médicaments, 20 pour des accidents lors d’endoscopie (essentiellement des bris dentaires sans trop de gravité) et 42 plaintes pour une intervention chirurgicale. « On retrouve les problèmes classiques de chirurgie endonasale, de l’oreille moyenne, de la thyroïde… Dans la cervicotomie, il s’agit surtout de problèmes de nerf spinal. Il est donc important dans l’information de bien dire qu’il peut y avoir une blessure accidentelle du nerf spinal », précise le Pr Pessey.
À faire et à ne pas faire.
Tout en appelant les ORL à se reporter, sur le site de la Société française d’hygiène hospitalière, pour consulter la version actualisée des recommandations sur la prévention et la surveillance des infections associées aux soins, le Pr Pessey donne aussi quelques règles à observer. « Il faut d’abord donner au patient une information la plus exhaustive possible et recueillir son consentement éclairé. Il faut faire attention aux indications opératoires, au compte rendu opératoire, à la surveillance post-opératoire ainsi qu’à la bonne tenue du dossier médical, qui doit être communiqué au patient si celui-ci le réclame. En cas de complications, il faut informer le plus vite possible le patient ou ses proches », indique le Pr Pessey, en relevant aussi quelques erreurs à ne pas faire. « Il faut d’abord ne jamais proposer un dédommagement à l’amiable. C’est une faute grave. Il faut aussi ne pas essayer de se justifier coûte que coûte et ne pas rejeter la responsabilité sur un confrère. Enfin et surtout, il ne faut jamais, comme on le voit dans certains dossiers, modifier a posteriori un compte rendu opératoire. C’est une faute très grave qui peut conduire au pénal ».
D’après un entretien avec le Pr Jean-Jacques Pessey (CHU de Toulouse), expert près la Cour d’Appel et expert national auprès de la Commission Régionale de Conciliation et d’Indemnisation (CRCI) .
Missions, consultation et diagnostic, prescription : le projet Valletoux sur la profession infirmière inquiète (déjà) les médecins
Désert médical : une commune de l’Orne passe une annonce sur Leboncoin pour trouver un généraliste
Pratique libérale : la chirurgie en cabinet, sillon à creuser
Le déconventionnement tombe à l’eau ? Les médecins corses se tournent vers les députés pour se faire entendre