Au départ, l’affaire peut paraître banale : le village des Ancizes, dans le Puy-de-Dôme, manquant (ou craignant manquer) de médecin généraliste, fait appel à l’association ARIME (Association pour la recherche et l’installation de médecins européens, l’une des principales agences présentes sur le marché), pour lui trouver la perle rare. Le Dr Ovidiu Stanculescu, médecin roumain présentant toutes les garanties et parlant très convenablement français, est vite candidat au poste. Il faut dire que le village des Ancizes lui propose un logement et un cabinet gratuits la première année, et lui promet une patientèle conséquente. Pour lui avoir trouvé ce médecin qui exerçait jusqu’alors en Roumanie, Les Ancizes régleront à l’ARIME une facture
d’environ 40 000 euros, une grosse somme pour un bourg de 1 800 habitants. Mais rien ne se passe apparemment comme prévu : arrivé à l’automne dernier, le Dr Stanculescu déchante vite en constatant qu’il n’effectue en moyenne que deux consultations par jour, ce qui ne suffit évidemment pas à faire bouillir la marmite. Rapidement, le Dr Stanculescu est approché par un autre cabinet de recrutement, la société Revitalis-Conseil, qui lui propose d’aller exercer ses talents dans un autre bourg, Mondoubleau dans le Loir-et-Cher. En début d’année, le Dr Stanculescu quitte Les Ancizes sans crier gare et part s’installer à Mondoubleau. Pour ce débauchage, Revitalis-Conseil ne se fera payer « que » 10 000 euros.
A l’ARIME, Sophie Leroy répond bien volontiers aux questions du « Quotidien ». « Oui, assure-t-elle , les besoins en médecin d’Ancizes étaient bien réels ». Un généraliste de la commune était mort un an et demi auparavant sans être remplacé, quant aux deux autres praticiens encore en exercice, ils sont père et fils et respectivement âgés de 80 ans et de 55 ans. La responsable de
l’ARIME assure également avoir tout fait pour prévenir le Dr Stanculescu « qu’il lui faudrait de la patience pour se constituer une patientèle ».
Rivalités
Contacté par « Le Quotidien », le Dr Ovidiu Stanculescu reconnaît que l’ARIME ne lui a pas promis monts et merveilles : « Ils ne m’ont pas fait miroiter d’avantages exceptionnels, ils m’ont juste dit qu’en France, il était possible de très bien gagner sa vie ». En revanche, le Dr Stanculescu conteste le fait que les besoins en médecin des Ancizes soient bien réels, comme l’assure Sophie Leroy : « Entre les Ancizes et la commune mitoyenne de Saint Georges, il y a 3 500 habitants, et six médecins en me comptant. Je crois que l’ARIME n’avait pas bien apprécié la situation sur le terrain ». Contacté par « Le Quotidien », le Dr André Raynal, président de l’Ordre départemental des médecins, ne dit pas autre chose : « La démographie médicale de la région n’est pas mauvaise, et le canton n’est pas éligible aux aides prévues pour les zones sous-médicalisées ».
Il semblerait en outre que des rivalités communales existent aux Ancizes entre le maire et les deux autres médecins du village, ce que reconnaît lui-même à demi-mot Pascal Estier, premier magistrat des Ancizes : « Il est vrai que nous sommes en opposition ». Mais le Dr Stanculescu n’a pas ces précautions de langage : « Le maire des Ancizes était en conflit ouvert avec les deux autres généralistes du village. Avec ma venue, je crois qu’il espérait imposer un autre médecin sur ce qu’il faut bien appeler un champ de bataille ». Malheureusement, le médecin que le Dr Stanculescu était censé remplacer était mort depuis un an et demi à son arrivée. Comme le dit le Dr André Raynal, « Entre-temps, la patientèle du médecin mort avait eu le temps de se disperser entre les différents médecins du canton. Si le Dr Stanculescu avait été recruté peu de temps après sa mort, ça aurait peut-être marché ».
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