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Dossier

Les enjeux du round 2022/2023

Nouvelle négociation médicale, l'équation impossible ?

Par Loan Tranthimy - Publié le 04/11/2022
Nouvelle négociation médicale, l'équation impossible ?


SEBASTIEN TOUBON

Les négociations entre l'Assurance-maladie et les syndicats de médecins libéraux en vue de la prochaine convention médicale vont débuter mercredi prochain. Le gouvernement leur a fait parvenir une lettre cadrage décrivant quatre priorités. Mais les marges de manœuvre financières sont limitées. D'ores et déjà, les syndicats craignent l'absence de moyens suffisants pour construire une convention médicale ambitieuse qui permette de restaurer l'attractivité de la médecine libérale.


Dossier réalisé par Marie Foult, Léa Galanopoulo, Véronique Hunsinger et Loan Tranthimy.

 

Avec un peu de retard sur le calendrier initial, les négociations en vue de la prochaine convention médicale démarreront mercredi 9 novembre au matin. Le gouvernement a donné, la semaine dernière, le top départ aux négociations conventionnelles, des pourparlers avec la profession dont l'équation s'annonce loin d'être simple. En effet, le 27 octobre dernier, les ministres François Braun et Agnès Firmin Le Bodo ont fait partir la lettre de cadrage adressée à Thomas Fatôme, le directeur de l'Assurance maladie, décrivant ce qu'ils attendent de la prochaine convention médicale qui devra être signée avant la fin du premier trimestre 2023.

Comme annoncé, le gouvernement fixe quatre priorités aux partenaires conventionnels. La première - « agir de manière déterminée contre toutes les inégalités d'accès à la santé, qu'elles soient territoriales, sociales ou financières » - vise clairement les déserts médicaux, sujet sur lequel l'attente de l'exécutif et de la population est très forte. Les autres axes touchent directement à l'exercice. Il faudra intégrer la prévention via notamment les futures consultations dédiées et continuer à améliorer les pratiques et la qualité des soins. Le troisième axe a été déjà martelé par Thomas Fatôme depuis sa prise de fonction : libérer du temps médical pour « permettre aux médecins d'augmenter leur patientèle et de se concentrer sur les prises en charge qui requièrent un diagnostic médical ». Et la dernière priorité vise à mettre en musique la feuille de route du numérique en santé.

Temps médical

Finalement, ces orientations gouvernementales ne surprendront pas les partenaires conventionnels qui avaient déjà pris en un peu d'avance sur la réflexion, lors de réunions de quatre groupes de travail thématiques dès le printemps. L'objectif de gain de temps médical est admis par tous. Alors que près de sept millions de Français en sont dépourvus, les généralistes devront, en effet, passer de 1 060 à 1 220 patients par médecin traitant, soit 160 patients de plus - selon les calculs de la Cnam - pour couvrir les besoins d'ici à 2026.

Pour accompagner les praticiens, la Cnam va miser sur le déploiement des assistants médicaux dans les cabinets. Mis en place en 2019 et financé en partie par une aide dégressive des caisses, ce dispositif conventionnel, avec près de 3 400 contrats signés a fait ses preuves. Il a permis d'augmenter le nombre de patients des médecins traitants et d'accroître la file active, selon le dernier bilan de la Sécu. Et Thomas Fatôme se dit prêt à « lever les barrières » pour accélérer l'arrivée de ces auxiliaires. Parmi les évolutions envisagées par l'Assurance-maladie, ont été avancés l'assouplissement des critères d'éligibilité, l'aménagement des objectifs ou encore la pérennisation des aides versées. Le gouvernement veut lui 10 000 assistants médicaux d'ici à 2025.

La Cnam table aussi sur le travail coordonné avec les infirmières en pratique avancée (IPA) en ville. Ces « super infirmières » ont vocation à prendre charge des patients chroniques confiés par le médecin au titre d’un suivi régulier. Si les syndicats ne sont tous complètement opposés à ce déploiement, ils posent en tout cas des conditions. Tous revendiquent notamment le respect du parcours de soins et surtout la mise en place d'une incitation pour les médecins aient intérêt à déléguer, sans perdre de plumes. « Nous voulons bien ne faire que des consultations complexes mais si elles restent à 25 euros, ce n'est pas acceptable », rappelle la Dr Margot Bayart, vice-présidente de MG France. « La convention devra tenir compte des échanges quotidiens avec les IPA qui prennent du temps », explique le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF.

Revalorisation des tarifs

Toujours pour inciter les médecins à prendre davantage de patients, la question de la revalorisation des tarifs est le point crucial. Selon la Dr Corinne Le Sauder, présidente de la FMF, « les médecins connaissent déjà une perte de 15 % d'honoraires depuis le début de la convention de 2016 et aucune revalorisation des actes clés n'a été faite ». Alors pour ce nouveau contrat, le SML, la FMF ou l'UFML-S, par exemple, militent en faveur de l'alignement du tarif de la consultation de base sur la moyenne européenne, soit 50 euros. La discussion s'annonce serrée car si la Cnam a peu de marges de manœuvre financières.

Rémunérer différemment des consultations pour tenir compte de la complexité de la situation ou de la pathologie des patients devrait, en revanche, être une piste retenue par la Sécu. Dans ce cadre, les deux centrales polycatégorielles, la CSMF et le SML ont aussi proposé de hiérarchiser les consultations en trois ou quatre niveaux de tarifs (de 30 à 150 euros) selon des critères précis : complexité de l'acte, expertise nécessaire pour le réaliser, durée et fréquence. De son côté, Avenir Spé, défendra également trois niveaux de consultations spécialisées : suivi spécialisé (40 euros), consultations d’expertise (60 euros) et consultations très complexes (80 euros).

Prévention et qualité des pratiques

Si la place centrale de la rémunération à l’acte est préservée, la Cnam ne cache pas sa volonté d'accroître la part forfaitaire plus propice, selon elle, au déploiement à la prévention ou à la coordination. Aujourd'hui, les forfaits représentent 15 % de la rémunération totale des généralistes et 4 % de celle des spécialistes. Faut-il augmenter davantage cette part ? Les syndicats réclament davantage la révision de la rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp), afin d' « orienter la médecine libérale dans la prévention et la qualité des pratiques ».

Sur ce point en tout cas, la Cnam est d'accord. Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à l'organisation des soins de la Cnam, se dit prête à simplifier cette rémunération forfaitaire. Les ministres, eux, vont beaucoup plus loin. « Il apparaît nécessaire de développer un modèle de rémunération mixte pour les médecins volontaires, via le développement d'une rémunération forfaitaire partiellement substitutive à l'acte » écrivent-ils dans la lettre de cadrage, comme un ballon d'essai sur le paiement à la capitation.

Recadrage de la téléconsultation

Actée par avenant dans la convention de 2016, la téléconsultation a pris un essor considérable pendant la crise sanitaire. L'Assurance-maladie veut aujourd'hui sécuriser l'outil. De fait, la question de la limitation actuelle à 20 % de la part de téléconsultations par rapport à l'ensemble des actes devra aussi être abordée lors de cette négociation. « Aujourd'hui, l'avenant permet déjà dans des conditions particulières ou certaines spécialistes comme la psychiatrie de dépasser cette limite », explique le Dr Luc DuquesnelPar ailleurs, l'Assurance-maladie semble aussi vouloir développer la téléconsultation assistée, par exemple par une infirmière. « Cette possibilité d’exercice et la rémunération associées sont trop peu connues des professionnels de santé et des patients », écrivait-elle dans son rapport annuel « charges et produits » en juillet.

Conventionnement sélectif

Face aux difficultés d'accès aux soins et à la pression parlementaire en faveur d'une coercition à l'installation, le gouvernement a laissé la main aux partenaires conventionnels de fixer « les conditions à remplir par les professionnels de santé pour être conventionnés, relatives à leur formation et expérience ainsi qu’aux zones d'exercice définies par l'ARS ». Cette forme de conventionnement sélectif introduite par le PLFSS est refusée en bloc par l'Assurance-maladie et les syndicats. Pour éviter d'en arriver là, ils devraient s'accorder sur des mesures incitatives comme la téléconsultation, l'encouragement des spécialistes à exercer en dehors de leur cabinet principal et la simplification des contrats conventionnels d'installation.

Le gouvernement mise aussi toujours sur les déploiements des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et des services d'accès aux soins (SAS) qui devront tous deux être achevés fin 2023, préviennent les ministres. Ils invitent aussi à inscrire dans la convention certaines des mesures qui avaient été prises pour l'été dont la majoration de 15 euros pour les soins non programmés de patients adressés par le 15 ou le SAS.

Il reste que l'inconnue de l'équation est le montant de l'enveloppe financière. Mais d'ores et déjà, avec une enveloppe pour les soins de ville en hausse de 2,9 % dans le budget de la Sécu 2023, soit beaucoup moins que l'inflation, les syndicats se montrent « pessimistes ». « Avec un tel budget, nous n'aurons pas de revalorisation significative de nos actes, et donc pas d'évolution indispensable de nos pratiques », avertit le Dr Franck Devulder, président de la CSMF. Sans « une enveloppe suffisante » pour restructurer la médecine libérale, « il n'y aura pas d'accord », ont déjà prévenu unanimes les représentants des médecins libéraux.