« Une digue a sauté en termes de partage de compétences entre le médecin et les autres soignants », a salué l'UFC Que choisir, après l'adoption de la loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, défendue depuis octobre par la députée macroniste du Loiret et rhumatologue hospitalière Stéphanie Rist.
Afin de libérer du temps médical aux praticiens libéraux, dans un contexte de démographie en souffrance, la mesure phare du texte consiste à autoriser l'accès direct des assurés — sans passer par la case médecin — aux infirmiers en pratique avancée (IPA), aux masseurs-kinésithérapeutes et aux orthophonistes.
Toutefois, cette réforme emblématique a été « âprement débattue », a reconnu Stéphanie Rist, et sa portée finale a été limitée. À l'arrivée, l'ambition affichée du gouvernement « de déverrouiller le système de santé » est loin, en tout cas, des espérances des paramédicaux qui poussaient de leur côté pour faciliter au maximum ces accès directs et évolutions de compétences. Craignant une « médecine à deux vitesses », les syndicats médicaux et l'Ordre sont parvenus, grâce au soutien des sénateurs, à encadrer cette libéralisation du parcours de soins.
Équilibre
De fait, les accès directs ne sont prévus que pour les IPA et kinés exerçant dans le cadre d'une maison de santé pluridisciplinaire, un centre de santé ou une équipe de soins primaires ou spécialisés, en clair au sein de structures d'exercice coordonné juridiquement formalisées. En revanche, les parlementaires ont écarté le recours direct à ces non-médecins au sein des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) – « une échelle trop large peu favorable à la coordination », selon MG France – en attendant les résultats d'une simple expérimentation autorisée durant cinq ans dans six départements dont deux d'Outre-mer.
D'autres gages ont été donnés aux médecins. La loi limite le nombre de séances autorisées en accès direct pour les kinés à huit, au lieu des dix initialement, et garantit que le compte rendu des soins soit envoyé au médecin traitant du patient et reporté dans son DMP. Dans l'hémicycle, François Braun s'est senti obligé d'affirmer qu'il n'avait pas eu « la volonté de mettre de côté le médecin généraliste ». « Au contraire, cette loi vient renforcer la place centrale du médecin traitant qui sera le pivot autour duquel va s'organiser la coopération des professionnels de santé », a-t-il ajouté.
Une autre victoire pour la profession concerne la suppression de « l'engagement territorial », prévu initialement dans la PPL Rist, qui aurait pu signifier de nouvelles contraintes. Face au tollé médical, les sénateurs ont écarté cette mesure, sans portée juridique claire, qui interférait inutilement avec les négociations conventionnelles.
Montée en puissance des pharmaciens
De nouveaux élargissements de compétences ont néanmoins été actés. Les IPA pourront effectuer des primoprescriptions pour certains produits de santé et prestations dont la liste sera fixée par décret après avis de la Haute Autorité de santé. Les infirmiers exerçant dans les structures d'exercice coordonné pourront prendre en charge la prévention et le traitement de plaies et prescrire des examens complémentaires et des produits de santé.
Quant aux pharmaciens, ils sont autorisés à renouveler trois fois, par délivrance d’un mois, une ordonnance expirée pour le traitement d’une pathologie chronique. Les pharmaciens biologistes seront habilités de leur côté à pratiquer des prélèvements dans le cadre du dépistage du cancer du col de l’utérus. Les chirurgiens-dentistes pourront être épaulés par des assistants dentaires dits de niveau II, un nouveau métier.
Sous l'impulsion du gouvernement, la loi a introduit le principe d'une responsabilité collective des professionnels de santé pour la mission de permanence des soins, tant en établissement qu’en ville (pour les médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et infirmiers libéraux conventionnés). « Il faudra qu'on m'explique cette notion, interroge la Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France. En tout cas, ce qu'il ne fallait surtout pas, c'est une responsabilité individuelle ».
Déception des paramédicaux
La version finale du texte a déçu les représentants des infirmiers et des kinés. Malgré quelques avancées notables comme la primoprescription pour les IPA, les infirmiers regrettent que l'accès direct ne soit pas autorisé au sein des CPTS, structures qui maillent la moitié du territoire. « L’expérimentation en CPTS limitée à cinq ans et dans six départements ne constitue en rien une solution à la hauteur de l’urgence de la situation », se désole le Syndicat des infirmiers et infirmières libéraux (Sniil). Les kinés de la FFMKR dénoncent une loi « cosmétique », « fruit d’un corporatisme archaïque », soulignant que seulement 3 % des kinés exercent en maison de santé.
Du côté des médecins, c'est le soulagement. « Le texte laisse une autonomie aux paramédicaux, dans un cadre de coopération, tout en préservant la qualité des soins », analyse la Dr Giannotti (MG France). L'Ordre ne cache pas sa satisfaction. « Si, au départ, nous avions pu formuler des inquiétudes, nous nous réjouissons que la loi adoptée soit davantage équilibrée », commente le Cnom.
Mais la profession se prépare à une autre bataille avec l'examen, le 12 juin, de la proposition de loi sur l'accès aux soins portée cette fois par le député (Horizons) Frédéric Valletoux, ex-président de la FHF. Le collectif Médecins pour demain appelle à la fermeture des cabinets le 9 juin pour protester contre ce nouveau texte, qui prévoit des mesures sur la permanence des soins.
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