Avec 60 000 téléconsultations remboursées par l'assurance-maladie en un an, la pratique progresse mais reste loin des objectifs initiaux. Des voix s'élèvent pour assouplir les conditions de la télémédecine afin de répondre au besoin dans les déserts médicaux.
Explications d'un bilan biologique, consultation préopératoire, renouvellement d'ordonnances, 60 000 téléconsultations ont été facturées pour cette première année complète, selon le bilan actualisé de la CNAM.
Depuis le 15 septembre 2018, les praticiens libéraux de toutes spécialités peuvent proposer des consultations à distance par visioconférence remboursées comme des consultations présentielles, sous certaines conditions fixées dans l'avenant 6 à la convention.
1 600 médecins libéraux engagés
Les débuts ont été plus que timides : 2 000 actes après quatre mois, 8 000 actes après six mois... Habile, le directeur général de la CNAM souligne plutôt la dynamique actuelle (lire entretien page 3), avec 3 300 actes hebdomadaires depuis la rentrée, et le renfort prochain des infirmiers et pharmaciens invités à s'impliquer en assistant les patients.
Il n'empêche : le nombre d'actes facturés dans le cadre de la télémédecine remboursée (avenant 6) reste loin des objectifs affichés par le gouvernement : 500 000 en 2019 et 1,3 million dès 2021. Le résultat est encore plus anecdotique comparé aux 350 millions de consultations physiques réalisées chaque année...
De fait, la marge de progression est considérable car, en pratique, une petite minorité de praticiens téléconsultent – 1 600 sur 115 000 médecins libéraux. Profil type : un généraliste de moins de 50 ans en Ile-de-France. Cette montée en charge timide n'est pas vraiment une surprise pour les syndicats, l'appropriation des outils réclamant du temps et souvent une réorganisation du planning.
« C'est un changement radical pour les médecins, ils ont une difficulté psychologique à passer le cap, réagit le Dr Claude Bronner, vice-président de la FMF. Mais quand on les forme, ils sont partants ! Ça va lentement mais sûrement ». Même analyse à MG France. « Il faut davantage d'outils qui répondent à nos attentes et soient interfacés avec nos logiciels métiers, mais aussi de la formation, insiste le Dr Jacques Battistoni, président du syndicat de généralistes. Je suis optimiste, la télémédecine s'intégrera à la pratique ».
Verrous
La leader de la prise de rendez-vous en ligne Doctolib, qui s'est lancé en janvier, revendique à lui seul les deux tiers (soit 40 000 actes) des téléconsultations remboursées par la Sécu. « De plus en plus de médecins s'y intéressent et côté patients, la téléconsultation entre progressivement dans les usages », assure Stanislas Niox-Chateau, président fondateur de la plateforme.
Pour changer de braquet, des voix réclament un assouplissement des conditions réglementaires qui permettent le remboursement (orientation initiale par le médecin traitant – quand ce n'est pas lui-même qui téléconsulte – et obligation d'avoir vu le patient dans les 12 derniers mois). Certes, plusieurs dérogations ont été prévues (spécialités en accès direct, moins de 16 ans, urgences). Dans le cas d'un patient sans médecin traitant ou indisponible, la téléconsultation doit s'appuyer sur les organisations territoriales de proximité (CPTS, équipes de soins primaires, maisons et centres de santé) pour entrer dans le droit commun de la Sécu.
Un schéma toujours trop rigide pour certains : en mai, 118 parlementaires impatients signaient une tribune exhortant le gouvernement à faire sauter les verrous de la télémédecine. « Beaucoup de Français n'ont pas de médecin traitant et certaines régions sont en pénurie médicale. Parfois il faut déborder sur des médecins d'autres régions, plaide le Dr Jean-Pierre Door, député LR du Loiret. Si on administre trop cette pratique, ça ne marchera pas, il faut plus de souplesse et de liberté tout évitant la marchandisation ».
La clé du territoire
Une ligne de crête alors qu'une bonne dizaine d'opérateurs se sont lancés. À cet égard, la CNAM invite les plateformes qui veulent s’intégrer au parcours de soins (et donc prétendre aux remboursement) à venir en soutien des dispositifs territoriaux et des CPTS plutôt que de chercher à les concurrencer.
La société Livi a compris le message. L'entreprise qui revendique 33 400 téléconsultations dont deux tiers n'ont pas été remboursées entend se réorganiser dans les territoires en se rapprochant des CPTS, maisons et centres de santé. Des négociations ont démarré en Bourgogne pour respecter ce cadre territorial.
Qare, qui affiche 40 000 téléconsultations (dont la moitié en médecine générale) plaide plutôt pour une simplification des modalités de remboursement et la suppression des contraintes géographiques afin de venir en aide aux patients des zones fragiles. La société H4D, spécialisée dans les cabines de télémédecine, abonde en ce sens. « S'organiser sur un territoire c'est long et compliqué, commente le Dr Franck Baudino, fondateur de H4D. Si le patient n'a pas de médecin traitant, il devrait pouvoir être pris en charge par un médecin qu'il n'a pas forcément vu dans les derniers mois et qui n'est pas obligatoirement de la région ».
Dans l'immédiat, le directeur de la CNAM est prêt à une ouverture en adaptant, dans certaines situations et spécialités, l'obligation d'avoir vu le patient au cours des 12 derniers mois. Une façon d'accélérer sans ouvrir les vannes.