« Mon médecin traitant n'est pas disponible avant huit jours. J'ai besoin d'un certificat de consolidation après un accident de travail. Heureusement que j'ai pu avoir une téléconsultation », témoigne Thierry, 60 ans, menuisier. Jérémy, 16 ans, était lui aussi dans la panade. « J'ai des vertiges répétés et mon médecin ne peut pas me prendre, j'ai demandé à avoir une téléconsultation pour me rassurer. »
Ces deux patients habitent Nogent-sur-Seine, à deux heures de Paris. Située dans l'Aube, la ville est classée en zone de désertification médicale. Malgré la construction d'un centre de santé en 2015 avec deux généralistes salariés, l'offre de soins y est insuffisante pour prendre en charge la population vieillissante et celle des bourgs environnants (soit 10 000 habitants).
Saint-Parres-lès-Vaudes, village de 1 100 habitants, est dans la même situation problématique. Après le départ brusque du dernier praticien, l’unique pharmacien du bourg, Jean-François Pliez, s’est retrouvé avec des habitants âgés sans médecin traitant. « On a eu des problèmes de renouvellement d'ordonnances pour faire des piluliers, pour les séances de kinés. C'était la panique », témoigne l'officinal.
Infirmière et pharmacien en appui
Ces deux villes ont fait le choix de la téléconsultation médicale. Avec l’aide du département et de l’ARS, la mairie de Nogent-sur-Seine a financé un chariot bardé d’outils connectés (13 000 euros), installé dans le centre de santé municipal. Elle a aussi salarié une infirmière à mi-temps pour assister les patients lors de ces rendez-vous médicaux à distance. À Saint-Parres-lès-Vaudes, c’est le pharmacien qui a accepté d’aménager une petite salle dans son arrière-boutique.
Ces consultations à distance sont assurées par deux urgentistes du CH de Troyes, les Drs Arnaud Devillard (43 ans) et Jérémie Goudour (45 ans), qui ont créé leur propre cabinet exclusivement consacré à la téléconsultation, situé dans la pépinière d'entreprises de la ville. Dès 2017, ces urgentistes qui en avaient « assez de voir les urgences engorgées par des patients avec des pathologies non urgentes » ont imaginé un projet à grande échelle pour prendre en charge les demandes inopinées en médecine générale dans les déserts médicaux du département…
Ancrage territorial
Le dispositif concerne les patients sans médecin traitant ou dont le médecin traitant n'est pas disponible dans le délai compatible avec l'état de santé. Les actes entrent dans le cadre dérogatoire de l’avenant 6 (exception au parcours de soins et à la connaissance préalable du patient). Pour que les téléconsultations soient remboursées, le modèle a obtenu fin 2018 l'agrément de la commission paritaire régionale (CPR), alors une première en France.
« Nous avons voté très largement en faveur de ce projet, utile dans le Grand Est, région frappée par la désertification médicale. On pense qu’au moins 10 à 15 % de patients n’ont pas de médecin traitant », témoigne le Dr Olivier Lambert, président la CPR Grand Est. « Les deux médecins ont eu l’intelligence de placer les chariots de téléconsultation là où les besoins sont les plus flagrants et surtout de consulter les professionnels de santé sur place pour ne pas les heurter. C’est différent des plateformes commerciales qui arrivent avec leurs gros sabots ».
Roue de secours
Dans chaque territoire, les deux urgentistes ont pris contact avec les médecins isolés. « S’ils ne sont pas favorables, nous n'y allons pas », assure le Dr Jérémie Goudour. « Nous ne faisons pas de téléconsultation à domicile. Les patients doivent aller dans les salles équipées – centres de santé, pharmacies ou EHPAD », précise le Dr Devillard.
Le processus est cadré : exclusion de certaines situations (nourrissons, patients non communicants, hémorragies aiguës, douleurs abdominales inhabituelles, IVG médicamenteuse…), retour d'informations par messagerie sécurisée, compte-rendu incrémenté au DMP… Et grâce aux accords tacites avec des maisons de santé, une structure de soins non programmés ou des spécialistes (cardiologues par exemple), les médecins téléconsultants peuvent réorienter le patient. Pour le Dr Lambert, ce modèle agile adossé à une organisation territoriale est adapté aux besoins de communes de 1 000 habitants où il ne reste qu’une pharmacie ou un cabinet d’infirmiers.
Depuis janvier 2019, les deux médecins ont réalisé 1 700 téléconsultations en provenance de 8 sites (de 9H à 18H du lundi au vendredi). Douze autres sites devraient ouvrir dans quatre départements voisins (Marne, Haute-Marne, Ardennes et Vosges). « Nous sommes une roue de secours en appui des médecins en difficulté, explique le Dr Devillard. Nous voulons être aussi un facilitateur sur un territoire pour inciter les médecins traitants à s’y mettre car s’ils ne le font pas les sociétés commerciales vont y aller ! »
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