LE QUOTIDIEN - Ce Livre vert qui aborde ouvertement la question des migrations de médecins au sein de l’Europe, serait-ce la fin d’un tabou ?
Dr CLAUDE WETZEL - D’une certaine façon, oui. C’est la première fois que la Commission européenne reconnaît officiellement le problème de la démographie médicale et infirmière en Europe. Elle a le courage d’affronter la réalité ; c’est assez rare, sur un sujet aussi sensible, pour être souligné. D’autant que cela revient à se heurter au principe de subsidiarité, un principe fondateur en Europe, selon lequel chaque État membre est libre d’organiser comme il l’entend son propre système de santé.
Une consultation est lancée au sein des 27. Quelles sont vos interrogations, à ce stade du débat ?
Je souhaite savoir jusqu’où la Commission européenne est prête à aller. Est-elle prête à envisager une harmonisation du paysage sanitaire en Europe, au nom de la qualité des soins et de la sécurité des patients, quitte à revenir sur la subsidiarité ? À l’avenir, on ne pourra se passer d’un minimum de régulation des systèmes de santé pour réduire les disparités entre pays. Des disparités, qui, toujours, se font sur le dos des patients. Pourquoi des Hongrois viennent-ils se faire soigner en Autriche ? Car ils y trouvent un environnement médicotechnique incomparable. À l’Est, les systèmes de santé souffrent d’un manque dramatique de financement public.
Comment régler le problème de la démographie médicale ?
Il faut se poser les bonnes questions. Et oser y répondre. Que veulent les médecins, et notamment les jeunes ? Des conditions de travail correctes, un temps de travail compatible avec une vie de famille, et un salaire décent. Or dans au moins dix pays d’Europe orientale et centrale, le revenu moyen d’un médecin se situe en dessous du salaire moyen national. En Pologne, en Bulgarie, en Slovaquie, les revenus médicaux oscillent entre 400 et 600 euros. En dix ans, la Bulgarie a perdu 40 % de ses infirmières, et la République tchèque, 8 000 médecins. Comment ne pas comprendre ceux qui veulent partir, quand à une heure d’avion ils peuvent gagner cinq ou dix fois plus, tout en travaillant moins ? Ce gradient Est-Ouest n’est plus tolérable pour les populations de l’Est, il faut agir.
Et La FEMS, organisatrice hier sur ce thème d’une euromanifestation de médecins à Strasbourg, estime qu’il faut agir en maintenant les règles européennes actuelles sur le temps de travail. Redoutez-vous à ce point le projet de révision de la directive européenne que propose la Commission européenne, et que votera le Parlement européen demain ?
C’est un point capital. Si le projet est voté, c’est à l’Est de l’Europe, où les pressions et la pénurie médicale sont fortes, qu’on va travailler plus encore qu’aujourd’hui. Les médecins de l’Est seront encore plus nombreux à fuir leur pays. Et ces pays seront obligés de pomper les ressources médicales d’Asie et d’Afrique. La population bulgare, tchèque, polonaise, sera soignée par des médecins non européens : est-ce un but ? Veut-on dégrader la situation en Europe, et aggraver celle d’autres continents ? On le voit bien, il faudra bien à terme accepter un minimum de régulation pour réduire les disparités sanitaires en Europe.
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