L’impasse est totale. Alors que la Cnam espérait, il y a quelques jours encore, un accord au finish sur la prochaine convention médicale – la date butoir étant fixée au mardi 28 février au soir – ses espoirs se sont évanouis ces dernières heures avec plusieurs rejets syndicaux clairs et massifs.
Dimanche soir, MG France, premier syndicat de généralistes avec plus de 36 % des voix aux dernières élections, a annoncé qu'il ne signerait pas ce texte « inadmissible ». Un vote historique, qui en dit long sur le malaise : le comité directeur de MG France a rejeté « à l'unanimité » la signature du texte proposé par l’Assurance-maladie, lors d'un scrutin en ligne auprès de ses délégués et élus (45 personnes).
À la même heure, c’est Avenir Spé-Le Bloc, qui représente à lui seul près de 40 % des voix des spécialistes, qui a rejeté « à l’unanimité » la signature de la convention. « C’est un constat d’échec », confie le Dr Patrick Gasser, président d’Avenir Spé.
D’une seule voix aussi, le SML a décidé ce lundi de « ne pas signer la convention demain », indique sa présidente, la Dr Sophie Bauer. Après un vote électronique organisé ce week-end, l’assemblée générale du syndicat a dit « non » à 100 %. « C’est la convention la plus antilibérale que nous ayons vue », se désole la chirurgienne.
Un pacte « inaudible »
Dans ce contexte, l’avenir de ce projet de convention médicale paraît scellé et la voie s'ouvre vers un règlement arbitral, qui intervient en cas d'impasse.
Ces syndicats ont expliqué longuement, ces dernières heures, les raisons de leur refus. Présidente de MG France, la Dr Agnès Giannotti récuse un texte qui « conditionne la simple mise à niveau du tarif de l'acte de base des généralistes à des contraintes supplémentaires ». Le syndicat, qui a relayé les témoignages édifiants de plusieurs généralistes adhérents, n'a pas digéré les efforts supplémentaires réclamés par la caisse pour obtenir la consultation à 30 euros, sous la forme d'un engagement territorial. Un pacte « inaudible » de « devoirs et devoirs », a cinglé dimanche Agnès Giannotti. Pour MG France – dont la signature était décisive – le maintien d'un différentiel de tarifs entre généralistes et spécialistes a aussi pesé lourd, tout comme le manque de valorisation des actes auprès des patients chroniques et âgés « au profit d'une médecine one shot ».
Le SML a lui aussi balayé la philosophie de ce projet, consistant à accorder des revalorisations conditionnelles, sous réserve de contraintes ou d'efforts accrus. « Nous ne pouvions pas accepter ce contrat de travail », explique la Dr Sophie Bauer. Un « principe odieux » qui risque d'aboutir à « des mises à la retraite, des déconventionnements ou des départs à l’étranger », et in fine « une dégradation de l'accès aux soins, François Braun joue avec le feu ! ».
Iniquité de moyens
Pour les spécialistes aussi, l’engagement territorial concocté par la Cnam à la demande du gouvernement semblait difficile à vendre à la base. « Il exclut près de 70 % de nos collègues spécialistes, tonne Patrick Gasser (Avenir Spé). Quel syndicat serait prêt à signer un texte qui exclut plus de la moitié de ses mandants ? ». Le président d’Avenir Spé regrette des revalos « lointaines », programmés pour octobre 2024, « alors qu’il y a urgence maintenant ».
Autre ligne rouge qui a poussé Avenir Spé à rejeter le texte : « une convention principalement centrée sur la médecine générale », pointe le Dr Gasser. « L’enveloppe budgétaire était inéquitable entre les généralistes et les spécialistes, de l’ordre de 70 % pour la médecine générale sur 1,5 milliard d’euros », calcule-t-il. Malgré des avancées « non négligeables » pour certaines spécialités comme les pédiatres « nous n’avons pas eu les moyens de nos ambitions », résume amèrement le gastro-entérologue.
10 000 euros par médecin…
Ce lundi matin, le ministre de la Santé François Braun a accueilli avec « beaucoup de regret » la décision des premiers syndicats médicaux à s'exprimer, jugés « pas responsables ». « C’est une occasion manquée pour les médecins et pour les patients, les syndicats sont passés à côté de l’enjeu de responsabilité », ajoute ce lundi l’entourage du ministre de la Santé. Mais au ministère, on « assume » la stratégie de l'exécutif, déclinée par la Cnam. « La revalorisation sans conditions à 30 euros n’était pas une option. Il fallait la conditionner à des efforts supplémentaires compte tenu des besoins de santé de nos concitoyens », scande l’entourage de François Braun.
Ségur estime « s'être mis du côté des Français », tout en proposant des sommes « conséquentes » aux confrères. Entre l’augmentation sans condition de la consultation d’1,50 euro, les revalos du forfait patientèle médecin traitant et l’entrée en vigueur d’une nouvelle consultation à 60 euros pour l'inscription d'un patient en ALD dans sa patientèle, « cela représente en moyenne 10 000 euros par médecin par an », assure-t-on au ministère. Et pour les confrères qui rempliraient les conditions de l’engagement territorial, la hausse en année pleine s'élèverait à 20 000 euros. « On estime qu’on a le droit, pour 1,5 milliard d’euros, de poser des conditions. C'est l'argent des cotisations », martèle l’entourage de François Braun.
« Parodie de négos »
Au ministère de la Santé, on n'hésite donc pas à charger les syndicats, accusés de ne pas avoir « fait leur part du chemin ». La Cnam, elle, aurait fait « beaucoup d’efforts», en assouplissant le décrié contrat d’engagement territorial (le mot contrat a été supprimé). « Force est de constater qu’en face, les positions n’ont pas bougé », se désole le cabinet de François Braun.
Plusieurs syndicats ont dénoncé la méthode et la mise sous tutelle politique de ce round conventionnel. « Nous avons eu le droit à une parodie de négociations », juge la présidente du SML, qui accuse François Braun d'avoir voulu « couper les syndicats de leur base, mais justement la base a parlé et elle est furieuse ».
« Soyons clairs, ces négociations n’en sont pas », a tonné aussi l’UFML-S, dénonçant « quatre mois en absurdie » à l'issue des discussions. Le syndicat de Jérôme Marty avait annoncé la couleur très tôt, éreintant un texte d'un « cynisme méprisant » qui « lie les augmentations tarifaires légitimes à un engagement qui n’a pas lieu d’être ». « Il n’y a pas de négociations, car il ne peut pas y avoir de négociations, dès l’instant où l’oukase présidentiel tombe sur le haut fonctionnaire », a commenté le généraliste de Fronton. L’UFML parie sur ses assises du déconventionnement, organisée en fin de cette semaine à Paris. Un risque de déconventionnement que balaie ce lundi l’entourage de François Braun évoquant une « menace pas du tout appropriée, qui ne servira aucune cause ».
Quid du règlement arbitral ?
Deux autres syndicats devaient encore se prononcer. La FMF* consultait ses troupes jusqu'à lundi soir 20h (vote numérique individuel à bulletin secret). La CSMF de son côté convoquera une assemblée générale plus tardivement, le 12 mars. Mais la branche spé de la centrale confédérale a déjà annoncé la couleur. « Comment un syndicat de spécialistes responsable pourrait-il dire oui ? », avance le Dr Bruno Perrouty, président des Spécialistes-CSMF, qui égrène toutes les raisons de refuser le texte – des tarifs à l'engagement territorial en passant par l'incertitude sur la CCAM ou les contraintes sur les équipes de soins spécialisés.
À défaut de compromis, charge revient à Annick Morel, ancienne Igas, de rédiger un règlement arbitral. Le texte fera office de convention pendant deux ans, durée pendant laquelle la Cnam et les syndicats ont l’obligation de réouvrir des négociations. « L’arbitre est indépendante et neutre », insiste ce lundi l’entourage de François Braun. Mais le règlement promet déjà d’être plus sévère que la convention qui était proposée par l’Assurance-maladie. « À ce stade, on ne peut pas considérer que le ministre a complètement envie de donner la même chose dans un règlement arbitral que dans une négociation aboutie », prévient le cabinet du ministre.
Le règlement arbitral devra avoir été rédigé pour le 28 mai au plus tard, pour une publication d’ici à la fin du mois de juin, précise le ministère. Il faudra ensuite attendre six mois supplémentaires… pour appliquer de potentielles revalorisations d'honoraires.
[MISE à JOUR, mardi 9h] Les adhérents de la FMF ont voté non à 97 %, lundi soir, dénonçant en particulier la « vision comptable » du gouvernement.
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