« J'ai juste essayé d'aider mon patient. » Ce mercredi matin, la voix du Dr Gaël Nayt, psychiatre, se brise et étouffe un sanglot face à la présidente de la chambre nationale disciplinaire de l'Ordre des médecins et aux juges. Depuis près de quatre ans, cette médecin spécialiste de 47 ans bataille avec l'Ordre, qui lui reproche d'avoir rédigé un certificat de complaisance en établissant un lien de causalité entre le travail d'un salarié et son état de santé dégradé.
Ce mercredi, à Paris, le Dr Nayt était donc entendue après avoir fait appel de la décision rendue en mars 2018 par la chambre disciplinaire de première instance d'Ile-de-France, qui l'avait condamnée à trois mois d'interdiction d'exercice (dont deux mois avec sursis).
Devant l'Ordre, plusieurs dizaines de médecins membres d'associations (Santé et médecine du travail, Mouvement d'insoumission aux Ordres professionnels) et de syndicats (Solidaires, CGT, Union syndicale de la psychiatrie et Syndicat de la médecine générale – SMG), étaient venus soutenir leur consœur aujourd'hui.
Tous réclament l'arrêt des poursuites, l'irrecevabilité des plaintes d'employeurs devant l'Ordre et la suppression de la juridiction « d’exception » des chambres disciplinaires ordinales. « L'Ordre des médecins a choisi son camp : celui de la collaboration avec les employeurs, contre la santé des salariés et les pratiques des médecins », accusent ces organisations.
Certificat produit aux prud'hommes
Le certificat en question remonte à mai 2014. La psychiatre reçoit dans son cabinet parisien – elle consulte également à l'Hôtel-Dieu (AP-HP) – un patient suivi depuis plusieurs mois et rédige un certificat précisant que ce patient souffre d'un « épisode dépressif anxieux apparu dans un contexte post-traumatique (...) directement imputable à sa situation professionnelle ». Ce certificat sera produit par le patient, salarié du groupe Bouygues, devant la cour d'appel de Versailles, dans le cadre d'une procédure prud'homale l'opposant à employeur.
Cela amènera en 2016 le groupe Bouygues à déposer plainte contre le Dr Nayt. L'Ordre départemental des médecins de Paris décidera de s'associer à cette plainte, qui aboutira donc à la sanction de trois mois d'interdiction d'exercice.
Tendancieux
Ce mercredi, cette sanction d'interdiction temporaire d'exercice a été qualifiée « d'extrêmement sévère » par l'avocat de la psychiatre. « Les qualités du Dr Nayt sont louées par son chef de service et par ses pairs. C'est son premier passage devant l'Ordre et on l'interdit d'exercer un mois, alors qu'elle suit de nombreux patients, notamment en addictologie et troubles du déficit de l'attention à l'Hôtel-Dieu », souligne Me Jean-Louis Macouillard. Il assure qu'il n'y a « rien à reprocher à ce certificat », qui n'a pas été fait pour être utilisé devant les tribunaux. « Le patient a été vu toutes les semaines pendant huit mois et fait part à chaque fois d'idées morbides voire suicidaires liées à son contexte de travail », insiste Me Macouillard.
Un argumentaire balayé par la représentante de l'Ordre départemental, pour qui la psychiatre est au contraire « sortie de son rôle, comme un expert judiciaire aurait pu le faire alors qu'elle n'avait pas été mandatée à cette fin ». « S'il n'y a pas certificat de complaisance, ce certificat médical est quand même tendancieux et il y a un manquement à la déontologie, car la médecin n'a pas pu constater elle-même ce qui se passait dans la relation », lance l'avocate. « Quand vous rédigez ce certificat, comment pouvez vous être sûre qu'il ne va pas être utilisé devant les prud'hommes, alors que le patient est en conflit au travail et en passe d'être licencié ? », renchérit un juge ordinal.
« Je l'ai fait pour qu'il ait une reconnaissance de sa maladie, se défend le Dr Gaël Nayt. Pour moi c'était lié au travail car mon patient n'avait pas d'antécédents psychiatriques, j'ai fait des demandes à son médecin traitant, qui ne m'a rien signalé. J'ai juste essayé de l'aider »
Le jugement, mis en délibéré, devrait être rendu d'ici à deux mois.
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