PERSONNE ne s’étonnait de ce que Polanski pût voyager sans difficultés à travers le monde. Non seulement il allait très souvent en Suisse, mais il y avait une résidence. Non seulement il n’était pas imprudent dans ses déplacements, aucun juge n’ayant appliqué le mandat international lancé contre lui, mais il avait été invité au festival du cinéma de Zurich. Au demeurant, le metteur en scène avait passé un accord avec sa victime et lui aurait versé des indemnités de 225 000 dollars. Elle-même, aujourd’hui âgée de 45 ans, l’a pardonné pendant une émission de Larry King sur CNN.
Une absolution publique.
Et presque personne ne souvenait d’une affaire qui remontait à 1977 et à laquelle, à défaut d’une prescription, le public mondial avait donné son absolution. Ce qui explique, au moins partiellement, la réaction indignée de notre ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, qui, dans le même propos, a amnistié Polanski à sa façon et reproduit le vieux cliché sur « l’Amérique que nous aimons et celle qui nous fait peur . De sorte que, conformément à une déviation franco-française très courante, on fait aujourd’hui, et tardivement, le procès du ministre plutôt que celui de l’artiste. M. Mitterrand, sous le coup de l’émotion, n’a pas compris qu’il semblait prôner une justice à deux vitesses, ni que le talent ne permet pas d’échapper à la loi. Mais il n’est pas que ministre, il est celui de la Culture ; et même s’il est convenu qu’un membre du gouvernement doit avoir une conduite irréprochable, ce n’est pas pour son sens aigu de la morale qu’il a été choisi, mais pour donner de la vigueur à la création française. D’ailleurs, si Marine Le Pen l’accable sur Internet, sans se priver d’ailleurs de tirer des arguments de la vie privée de François Mitterrand, on a toutes les raisons de croire que l’autre procès, celui que l’on fait au ministre, est excessif. Quant à la sévérité marmoréenne de la justice suisse, elle ferait rire si Polanski, tombé dans ses rêts, n’encourait de très sérieux ennuis. Elle aurait pu, si elel avait choisi une discrète indulgence, le remettre en liberté sous caution et le laisser rentrer chez lui ; elle aurait pu, avant de lui poser un traquenard particulièrement pervers, demander des explications à la justice américaine, ce qui aurait donné du temps à Polanski de partir. Elle aurait dû, surtout, se souvenir que, sous la pression de Mouammar Kadhafi, elle a remis en liberté le fils du colonel, convaincu pourtant d’avoir martyrisé ses domestiques. À quoi la Suisse a ajouté, non sans une indécente veulerie, ses excuses politiques au gouvernement libyen.
Personne n’a le cur pur.
Voilà maintenant que cette justice, incapable de respecter le droit quand sont en jeu des intérêts pétroliers ou commerciaux (Berne était d’autant plus dans l’embarras que Kadhafi avait pris en otage deux citoyens suisses), fait du droit l’alpha et l’omega de sa conduite politique. On est bien obligé d’appliquer un mandat vieux de 32 ans ; on est bien obligé de garder en prison l’un des meilleurs metteurs en scène du moment car il a déjà montré qu’il savait s’échapper ; bref, on ne peut plus bafouer le droit que l’on vient de bafouer.
Et ce n’est pas fini. Même « l’Amérique qu’on aime », même une justice fondée sur d’exemplaires principes démocratiques, ont leurs failles. Le juge qui poursuivait Roman Polanski en 1977 voulait bâtir sa gloire en détruisant celle du metteur en scène, déjà immensément connu à l’époque. Il est mort depuis, mais un autre juge a voulu se faire une notoriété en réactivant le mandat d’arrêt. C’est très courant à Hollywood, mais cela ne correspond pas vraiment à l’idée que l’on se fait d’une justice sereine. Parmi tous ceux qui poursuivent Roman Polanski, qu’ils soient américains ou suisses, aucun n’a le cur pur. Car tous savent qu’il existe autour de cette affaire un contexte politique et culturel qui empêche la mise en uvre d’une justice équitable.
Tout cela ayant été largement exposé, rien ne peut absoudre Polanski de la faute, du crime, qu’il a commis il y a trente-deux ans. C’était une mineure de 13 ans, il semble bien qu’elle ait résisté et qu’elle ait été violée et c’est tout aussi inacceptable aujourd’hui qu’autrefois. On admire Polanski et on se souvient que c’est un rescapé du ghetto de Varsovie qui aurait pu ne jamais être là pour réaliser un film aussi beau que « le Pianiste ». On se souvient des conditions atroces dans lequelles sa femme, l’actrice Sharon Tate, a été assassinée par Charles Manson. On devine que cet homme a reproduit dans ses films ce qu’il a appris, à son corps défendant, de la tragédie humaine.
Mais comment, après la mort de Sharon Tate, n’a-t-il pas trouvé la force de résister à une pulsion qui l’a conduit à séduire ou violer une fillette de treize ans ?
› RICHARD LISCIA
CE N’EST PLUS LE PROCÈS DE POLANSKI, MAIS CELUI DE FRÉDÉRIC MITTERRAND
Roman Polanski avec sa femme, Emmanuelle Seigner.
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