Entretien avec le président de la commission médicale de la Ligue nationale de rugby

Dr Bernard Dusfour: « Il n'est plus acceptable d'avoir 30 % de blessures à l'entraînement »

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Publié le 09/04/2018
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LE QUOTIDIEN : Vous préconisez une révision complète de la formation des joueurs et des entraîneurs en vue de réduire le risque de blessure. Pourquoi ?

Dr BERNARD DUSFOUR : Parce qu’il n'est tout simplement plus possible d'avoir 30 % de blessures survenant lors des entraînements, avec parfois des arrêts supérieurs à 3 mois. L'entraînement d'un joueur de rugby comprend deux aspects : l'entraînement technique à proprement parler et la préparation physique. Ce qui pose question, c'est la prépondérance de la préparation physique sur la technique.

Il y a cette idée reçue persistante qui veut que le rugby se résume à de la vitesse, de la masse et du muscle. On arrive à des déséquilibres qui ont culminé en 2007, lors de la coupe du monde remportée par les Africains du Sud avec un jeu basé sur la puissance et l'affrontement. À ce moment-là, toutes les équipes avaient des joueurs bodybuildés qui se rentraient dedans à toute volée. Plusieurs pays en sont revenus depuis, mais pas la France.

En quoi l'accent mis sur la préparation physique fait poser un risque sur la santé des joueurs ? Et comment y remédier ?

On a assisté à une dérive dans nos centres de formations, avec des jeunes trop physiques et pas assez techniques. C'est la raison pour laquelle nous pensons qu'il faut revoir la formation de nos jeunes, leur apprendre progressivement le plaquage, augmenter petit à petit leur temps de jeu et proposer des entraînements basés sur la souplesse et la vitesse plutôt que sur la force brute. Plus on insiste sur la préparation physique, la prise de muscle et de poids, plus on risque de se retrouver avec des joueurs très physiques mais peu techniques, qui percutent la défense en première intention sans maîtriser les bases du plaquage pour se protéger et éviter les blessures.

Depuis plusieurs années, les All Blacks se sont tournés vers la vitesse en première intension, ce qui a diminué le choc des joueurs les uns contre les autres tout en leur permettant de gagner tous leurs matchs. En France aussi les mentalités évoluent, cette année, on assiste à plus d'évitement et plus d'essais.

Cela doit s'accompagner d'une lutte accrue contre le dopage ?

Tout à fait, l'observatoire a pris à ce titre une position forte : l'interdiction des poudres de protéines chez les moins de 18 ans.

La ligue et la fédération française de Rugby sont en désaccord avec leurs homologues britanniques qui jugent que les plaquages hauts ont un rôle prépondérant dans la recrudescence des blessures. Sur quels arguments scientifiques s'appuient-ils ?

La réglementation actuelle sur les plaquages est la suivante : il faut écarter les bras et « embrasser » le joueur. De plus, il ne faut pas que le plaquage se situe en dessus de la ligne des épaules. Les Anglais nous disent que, selon leurs chiffres, il y a une augmentation des commotions cérébrales et des atteintes du rachis en lien avec les plaquages hauts. Ils veulent en conséquence limiter la hauteur des plaquages au thorax ce qui nous paraît compliqué du point de vue de l'arbitrage.

De notre côté, les chiffres recueillis par le Pr Philippe Decq montrent que la majorité des blessures sont liées à des erreurs techniques au moment du plaquage réalisé au-dessous de la ceinture. Dans 38 % des blessures de la saison dernière, c'est le plaqueur qui est atteint, alors que les plaqués ne représentent que 16 % des cas. Ensuite, on a 16 % de blessés dans les regroupements, 11 % de joueurs qui se sont blessés seuls et 6 % de blessures causées par un acte de jeu irrégulier.

Propos recueillis par Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin: 9655