Par Patrick Ferrer
La bâche blanche recouvrant la forme allongée sur la chaussée ne pouvait retenir les filets de sang qui alimentaient la flaque au bord du trottoir. Le gyrophare du véhicule de secours et soins d’urgence tournait dans le vide pendant que les deux ambulanciers attendaient à l’intérieur. Il faisait un froid de canard en cette première nuit de janvier. De toute façon, ils étaient venus pour rien. La fille était morte sur le coup. Une chute pareille, ça ne pardonnait pas.
La rue était animée après le feu d’artifice mais peu de badauds s’arrêtaient autour du périmètre de sécurité. C’était une soirée de réjouissances, personne n’avait envie de débuter l’année avec la vision d’un corps écrasé sur le pavé. Les deux flics protégeant le cadavre n’avaient eu affaire qu’à cette vieille femme en peignoir qui n’arrêtait pas de répéter « Qu’elle le savait que tout ça allait mal finir ». Ils hochaient la tête de concert mais leur esprit était ailleurs. Les collègues ne les avaient sûrement pas attendus pour sabrer le champagne. Un suicide à cette heure, c’était la poisse.
Aussi, lorsque apparut la fine silhouette qui se présenta à eux comme la légiste, ils émirent de concert un soupir de soulagement. Ils allaient pouvoir confier le corps aux ambulanciers et rentrer faire leur rapport. Avec un peu de chance, les réjouissances n’étaient peut-être pas encore terminées au commissariat. La légiste était en tailleur, sans doute se préparait-elle également à rejoindre une fête quelque part. Elle n’allait pas traîner.
Elle se planta devant eux. Elle n’était pas très grande. Un visage rond et ordinaire, des yeux vifs derrière des lunettes fines. Avec cet air déterminé qu’ont ces filles qui sont définitivement opposées au sexe avant le mariage.
— Elle est tombée de quel étage ?
Les deux flics haussèrent les épaules de concert. Qu’est-ce qu’ils en savaient ? Assez haut pour s’écraser comme une crêpe sur le trottoir, c’était évident.
— Du cinquième. C’est là qu’elle habitait. J’ai toujours su qu’un malheur allait arriver.
C’était la vieille en peignoir. La légiste lui adressa un signe de tête et s’approcha du cadavre en enjambant les ruisselets de sang. Ce n’était pas le moment de salir ses pompes de soirée, pensa l’un des policiers. Arrivée au pied du corps, elle repéra la fenêtre du cinquième étage qui était la seule ouverte en cette nuit glaciale. Elle leva le doigt vers le ciel comme si elle mesurait l’angle entre le cadavre et la fenêtre. À quoi jouait-elle ? Les deux flics se regardèrent et haussèrent les épaules de concert. Allez comprendre les femmes.
La jeune femme passa une paire de gant, souleva la bâche, jeta un rapide coup d’œil au cadavre et trempa un doigt dans le sang qui se répandait autour de la tête de la victime. Elle le tint un instant en l’air et observa la vitesse à laquelle le liquide hématique glissait le long de son doigt. Elle se tourna ensuite vers les policiers.
— La victime était-elle handicapée moteur ?
Elle les regardait mais sa question s’adressait visiblement à la voisine derrière eux.
— Sûrement pas ! s’écria celle-ci. Ça, des jambes, elle en avait. Et des longues, si vous voyez ce que je veux dire.
La fille hocha la tête.
— Très bien. Ne touchez à rien. Et appelez la PJ. Demandez le commissaire Desjoux, il doit être de permanence ce soir.
Les policiers firent la grimace.
— Mais… c’est un simple suicide. Êtes-vous certaine… ?
Elle les interrompit sans appel.
— Les suicidés ne tombent jamais à la verticale du point de chute. Vous allez les appeler ou c’est moi qui dois m’en charger ?
Prochain épisode dans notre édition du 8 décembre
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