Jusqu'à présent, la rencontre entre le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) « pour les sciences de la vie et de la santé », de son nom complet, et la Santé environnement est un rendez-vous manqué. « Le CCNE n'a pas eu l'occasion durant ma mandature de rendre un avis sur la relation aux animaux, ni à l'environnement. C'est un manque majeur d'anticipation, me semble-t-il. Le maintien d'une biodiversité, en particulier, est un besoin essentiel, et la réflexion éthique dans ce domaine reste assez pauvre », regrette le Pr Didier Sicard, président entre 1999 et 2008, dans le livre publié à l'occasion des 40 ans de l'institution*.
« L'action du CCNE doit s'inscrire dans le cadre de l'initiative One Health et concerner la santé de l'espèce humaine au sein de l'ensemble du vivant et non à l'exclusion de celui-ci », lit-on quelques pages plus loin sous la plume de son successeur Alain Grimfeld.
C'est aussi le vœu du Pr Jean-François Delfraissy, sous la présidence duquel a été publié en mars 2017 l'avis 125 sur « biodiversité et santé ». « Le CCNE doit creuser la question de la santé du vivant dans un contexte plus global, qui prenne en compte l’évolution du vivant, de l'environnement, du climat », explique-t-il au « Quotidien ». Mais construire ces enjeux éthiques n'est pas si simple : « cela suppose de rassembler des communautés qui se connaissent mal et parlent peu entre elles », poursuit-il, citant en exemple la différence d'approches entre monde de la recherche et ONG environnementales.
Intelligence artificielle : l'importance de garder un contrôle humain
L'autre priorité à l'agenda est la révolution du numérique et de l'intelligence artificielle (IA). Le sujet a été anticipé puisqu'un comité pilote d'éthique du numérique (CNPEN) a été installé fin 2019 sous l'égide du CCNE. Outre des prises de position sur les outils de tracing lors de la crise Covid, le CNPEN et le CCNE ont rendu ce 10 janvier un avis sur l'IA dans le diagnostic médical et en publieront très prochainement un autre sur les plateformes des données de santé.
« L'émergence de ces techniques a un impact formidable sur notre société, mais comporte aussi des risques, comme la manipulation de l'information », explicite Claude Kirchner, membre du CCNE et directeur du CNPEN. « Numérique et santé se combinent à la moindre prise de sang. L'intermédiation du numérique n'est jamais neutre. Qui la maîtrise, comment en comprendre les valeurs sous-jacentes, quel sens lui donner, à quelle fin ? », interroge-t-il, en défendant l'importance de garder un contrôle humain sur l'IA.
Le 9 mars dernier, le président Emmanuel Macron a annoncé la pérennisation de ce comité d'éthique du numérique, amené à prendre son indépendance par rapport au CCNE et à explorer l'impact du numérique en dehors du champ de la santé (économie, sécurité, environnement, etc.). Les modalités de son installation et de son fonctionnement ne sont pas encore fixées. « Au-delà des locaux que nous partagerons, nous continuerons à travailler ensemble sur les sujets liés à la santé », souligne le Pr Delfraissy.
Prudence sur la génomique, artificialisation du cerveau et de l'utérus
Le CCNE devrait en parallèle scruter les évolutions en cours dans le champ des neurosciences. « Il s'agit d'interroger la compatibilité entre la vie mentale et la société numérique (comment respecter des périodes de déconnexion et n'être pas toujours dans une réponse au stimulus) ; de protéger l'intimité psychique (alors qu'on peut reconstituer une identité faciale à partir d'une IRM) ; de travailler la définition de la mort cérébrale ; ou encore d'examiner rationnellement les techniques de neuro-amélioration sans tomber dans le fantasme ou rejet », énumère le Pr Lionel Naccache, ancien membre du CCNE, neurologue. Déjà en 2014, le CCNE avait appelé à la prudence à l'égard de la neuro-amélioration.
L'exploration des enjeux éthiques de la génomique (objet de 25 avis) devrait aussi s'accélérer avec le développement des thérapies géniques. Si les travaux sur les cellules somatiques sont encouragés, le CCNE a alerté dans son avis 133 de 2020 sur les risques liés à des modifications du génome qui se transmettraient à la descendance, via les gamètes ou l'embryon préimplantatoire. En parallèle, il signait, avec ses homologues allemand (Deutscher Ethikrat) et anglais (Nuffield Council on Bioethics), une tribune dans « Nature » appelant à poser des garde-fous sur ce type d'édition du génome. Et le début de la vie devrait rester une des constantes des préoccupations du CCNE avec « l'artificialisation » toujours plus grande de la procréation.
*Quarante ans de bioéthique en France, sous la direction de Jean-François Delfraissy, Emmanuel Didier, Pierre-Henri Duée, éditions Odile Jacob, 24,90 euros, 336 pages
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« Le comité doit être indépendant du politique et de la société »
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One Health, numérique, génomique : les chantiers éthiques de demain