LE QUOTIDIEN : Dans quel état d’esprit abordez-vous l’examen en séance publique du projet de loi sur la fin de vie ?
AGNÈS FIRMIN LE BODO : Concentrée, avec la volonté, comme nous avons su le montrer lors des auditions et de l’examen en commission spéciale, d’avoir des débats apaisés. Jusqu’à présent, chacun a pu exprimer ses idées en se faisant respecter. C’est le principe de la démocratie que de pouvoir débattre de sujets aussi difficiles soient-ils. Les 70 députés de la commission spéciale ont souhaité faire évoluer certains points. Charge aux 577 parlementaires de faire à nouveau bouger le texte s’ils estiment cela nécessaire : c’est le principe du travail parlementaire.
La commission spéciale a remplacé le critère de « pronostic vital engagé à court ou moyen terme » par « affection en phase avancée ou terminale ». Vous avez exprimé votre désaccord.
Je pense en effet qu’il faut revenir au pronostic vital engagé à court ou moyen terme pour maintenir l’équilibre de la loi telle qu’elle a été imaginée.
La loi Claeys-Leonetti de 2016 comporte la notion de court terme, sans pour autant la définir. C’est la Haute Autorité de santé (HAS) qui l’a explicitée quelques mois après. Le Comité consultatif national d’éthique dans son avis 139 estimait qu’elle ne répondait pas à toutes les situations à moyen terme. Il nous semblait important d’inscrire dans la nouvelle loi cette notion de moyen terme. La ministre Catherine Vautrin a déjà saisi la HAS pour lui demander de le définir. Dans les pays étrangers qui y font référence, le moyen terme renvoie à « quelques semaines à quelques mois », quand le court terme se compte en heures ou en jours.
En supprimant le critère du pronostic vital engagé, on ouvre la possibilité de bénéficier de l’aide à mourir à un plus grand nombre de personnes souffrant de maladies incurables. C’est un choix, respectable. Mais à titre personnel je ferais en sorte que la formulation initiale soit réintroduite dans la loi.
La version de la commission spéciale semble donner le choix au patient entre euthanasie ou suicide assisté.
Là aussi, je souhaite revenir à l’écriture initiale du texte : l’auto-administration doit rester la règle (au nom de l’autonomie du patient), l’hétéro-administration, l’exception.
J’ai travaillé avec les soignants. Beaucoup me disent : « On veut bien accompagner jusqu’à la fin à partir du moment où on sait qu’on n'a pas à faire le geste létal ». Faire une loi, c’est bien, mais il faut qu’elle soit appliquée.
La commission a voulu renforcer la collégialité de la décision.
Cette collégialité est déjà dans le texte initial : le médecin reçoit une demande (il est le seul à pouvoir dire si le pronostic vital est engagé), il fait appel à un autre médecin, spécialiste de la pathologie s’il ne l’est pas, et il interroge un professionnel paramédical (infirmier, aide-soignant ou psychologue). Certes, c’est le médecin qui prend la décision, mais en ayant consulté au moins deux personnes.
Certains souhaitent renforcer la collégialité, à l’image de ce qui existe dans les réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) en cancérologie ou dans les soins palliatifs. Je le répète : une loi doit être applicable. La collégialité telle qu’elle a été définie en Espagne, de manière extensive, fait que le résultat est rendu en 51 jours en moyenne. C’est trop ! C’est d’ailleurs pour cela qu’on a fixé un délai de 15 jours au médecin pour qu’il rende sa décision.
En France, il faut aussi prendre en compte la problématique des déserts médicaux : toutes les spécialités ne sont pas toujours accessibles sur tous les territoires.
La commission a adopté un amendement qui ouvre la possibilité pour une personne, « dans le cadre des directives anticipées, d’indiquer son choix individuel du type d’accompagnement pour une aide à mourir lorsque la personne perd conscience de manière irréversible ».
Cette disposition a été votée au titre I, dans la partie sur les soins palliatifs. Mais au titre II, parmi les cinq critères d’éligibilité, figure « la volonté libre et éclairé du patient ». Et la procédure prévoit la réitération de cette volonté libre et éclairée du patient jusqu’au moment de pratiquer l’auto-administration.
Cet amendement signifie qu’on ouvre l’aide à mourir aux maladies neurodégénératives, dont Alzheimer. Ce n’est pas le sens ni l’équilibre de la loi conçue par le gouvernement.
Des psychiatres ont regretté de n’avoir pas été reçus par la commission spéciale et mettent en garde contre une forme d’« encouragement » au suicide.
La Dr Sarah Dauchy, présidente du centre national pour les soins palliatifs et la fin de vie, est psychiatre et a parlé aux noms des psychiatres devant la commission !
Nous avons une responsabilité individuelle et collective : la prévention du suicide est une politique publique nécessaire qu’il faut continuer à renforcer. L’aide à mourir n’est pas le suicide. Les termes sont choisis à dessein : c’est notre promesse de solidarité et fraternité, notre modèle français.
Parmi les soignants, des oppositions persistent. Espérez-vous qu’elles s’atténuent ?
Les oppositions sont normales. J’ai beaucoup écouté les soignants. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas retenu certaines solutions, qu’on n’a pas travaillé ensemble. Le gouvernement propose un tel équilibre car il a écouté le corps médical et a conscience de l’état du système de santé.
Mais il faut entendre aussi la demande de certains concitoyens d’avoir ce choix, sachant que la sédation longue et profonde de la loi Leonetti-Claeys ne répond pas à toutes les situations. La société est demandeuse d’explications et de pédagogie. Il faut trouver la ligne de crête entre le choix offert à un malade de bénéficier d’une aide à mourir, la volonté d’accompagner ce choix avec des professionnels de santé jusqu’au bout, sans oublier le développement des soins d’accompagnements et palliatifs.
L’aide à mourir n’est pas l’échec de la prise en charge des soins palliatifs. Ce n’est pas l’un contre l’autre, l’un ou l’autre. Et nous ne remettons pas du tout en cause la prise en charge des soins palliatifs. La priorité est même leur développement.
Par ailleurs, le corps médical évolue – les Académies de médecine et de chirurgie, l’Ordre… – parce qu’un médecin est aussi un citoyen. Certains m’ont dit : en tant que médecin non, en tant que citoyen oui.
Une audition vous a-t-elle marqué ? Vous-même avez-vous évolué dans vos positions ?
Le plus bouleversant fut le témoignage d’une femme de 44 ans à Bordeaux qui préfère ne pas rentrer chez elle car elle ne veut pas mourir devant son fils de 13 ans. Les maisons d’accompagnement que créé la loi sont là notamment pour cela. J’ai aussi été marqué, parmi beaucoup de contributions, par le témoignage de Robert Badinter reçu en septembre, qui comme tout citoyen a évolué.
J’ai beaucoup appris, c’est une période de travail passionnante, intellectuellement et humainement. J’ai la conviction qu’il faut offrir un choix, celui du modèle français, avec des conditions restrictives. En revanche, impossible d’avoir des certitudes quant aux décisions que je pourrais prendre si un jour j’étais confrontée à la maladie.
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