LE QUOTIDIEN : Comment analysez-vous la configuration politique actuelle ? La santé pourrait-elle revenir au rang des priorités politiques en tant que dossier transpartisan ?
DAVID DJAÏZ : Il va bien falloir donner un gouvernement à la France ! Les urnes ont parlé : l’Assemblée nationale est fragmentée, avec un nouveau rapport de force et aucune majorité absolue nette. Et si le Nouveau Front populaire est arrivé en tête, il n’a pas gagné les élections. Que dit la Constitution ? Le président de la République nomme le Premier ministre. Il faut donc qu’il trouve une personne au barycentre des équilibres parlementaires pouvant former un gouvernement sans être censuré. Bon courage !
Comme c’est le cas dans d’autres pays, il faudra jouer du parlementarisme et aller vers un contrat de gouvernement, qui rassemble différentes sensibilités politiques. Cela peut prendre du temps… Sinon, nous nous dirigeons vers une crise institutionnelle, voire de régime.
Dans ce cadre-là, la santé, comme politique publique, est tout à fait éligible aux accords transpartisans. Notamment parce qu’elle est une préoccupation majeure – en zones rurales, l’accès aux soins passe devant le pouvoir d’achat et l’environnement –, avec un système de santé en grave difficulté. Et aussi car les actions à engager ne sont pas très colorées idéologiquement, et susceptibles de rassembler une majorité à l’Assemblée.
Quels sont les dossiers santé qui pourraient avancer, concrètement ?
La loi sur la fin de vie est absolument essentielle car elle a été travaillée dans le cadre d’une convention citoyenne et que le processus législatif n’a pas pu arriver au bout. C’est le bon exemple d’une loi triturée par un collectif citoyen, puis des parlementaires, soit un travail de convergences successives. Ce serait dommage de la mettre au frigo !
L’accès aux soins est le deuxième sujet majeur : pour avoir accès plus facilement à un généraliste, que chaque patient ait un médecin traitant, que les urgences soient moins embolisées ou que les personnes en ALD soient mieux prises en charge, etc. Des choses ont été faites ces dernières années, mais il faut aller plus loin sur ces problématiques d’organisation. Par exemple, amplifier les délégations de tâches ou systématiser le recours à l’assistant médical. Aussi, il faudrait trouver le bon dosage entre contrainte et incitation pour mieux mailler le territoire.
Quel profil pour Matignon et Ségur ? Un technicien, un poids lourd politique ?
Je ne sais pas s’il faut un technicien à Matignon. Si l’on arrive à former un gouvernement de coalition, il faudra un Premier ministre politique, mais, en même temps, suffisamment détaché des partis et sans ambition personnelle explicite pour 2027… À Ségur, il faut quelqu’un qui connaît vraiment le système de santé car ce gouvernement sera en CDD – espérons plutôt de deux ans qu’un.
Globalement, il y a trop d’instabilité ministérielle. Que ce soit à l’Éducation ou à la Santé, ces politiques publiques demandent de la constance, de la persévérance et du temps long. Avec des ministres différents, il est difficile de s’y atteler, surtout s’ils ont la volonté de se démarquer de leurs prédécesseurs. C’est déstabilisant pour les acteurs.
En tant qu’ancien rapporteur général du Conseil national de la refondation (CNR), vous avez coordonné et animé une dynamique territoriale sur la santé dans un esprit transpartisan. Ce travail peut-il être relancé ?
Il faudrait le relancer… et le démultiplier ! Je suis pour un changement radical de méthode en ce qui concerne les services publics. J’appelle à ce qu’on crée de vraies conférences sur l’accès aux soins, au niveau territorial, en réunissant tous les acteurs, après une analyse objective des besoins en matière de santé.
N’est-ce pas le but, justement, des conseils territoriaux de santé (CTS) ?
Les CTS, c’est pas mal, mais encore un peu léger. Il faut, en fait, créer de l’intelligence territoriale. Car, sous couvert d’égalité républicaine, on crée en réalité des inégalités d’accès aux soins criantes. Il faut que ces concertations débouchent sur des changements plus ambitieux, à l’image des droits de dérogations que nous avons donnés aux directeurs généraux des ARS, dans le cadre du CNR. Ce qui leur permet de mieux répondre aux dynamiques de territoire et d’assouplir le cadre réglementaire, pour, in fine, sauver le service public.
Pour gagner en agilité, il faut que le système de santé soit redessiné au niveau local, y compris avec les patients. Cette méthode “crash testée” pendant le CNR doit devenir une boussole de la politique publique. Ce n’est plus seulement à Ségur de prendre les grandes décisions et d’être le théâtre des grands plans à des milliards d’euros. Cela étant dit, il faut aussi de grands axes nationaux et des débats à l’échelle du pays. Par exemple, l’hôpital doit-il prendre le premier recours ou se concentrer sur la médecine de pointe ?
Le chef du parti travailliste élu au Royaume-Uni [Keir Starmer, NDLR] a une vision des services publics très convergente avec la mienne. Il s’est intéressé aux délais de prise en charge aux urgences, bassin de vie par bassin de vie, pour les réduire. Car les causes ne sont pas les mêmes partout ! Parfois, c’est le manque en médecine de ville, parfois l’organisation au sein d’un hôpital. Il faut une méthode de transformation du service public qui part du premier kilomètre. Si vous intégrez les personnes en ALD dans la réflexion, avec des prévalences différentes d’un endroit à un autre, un territoire où il y aurait trois fois plus de diabétiques justifie, localement, une adaptation du système.
Quid du prochain budget de la Sécurité sociale, qui se prépare dès maintenant ? Êtes-vous inquiet ?
Bien sûr que je suis inquiet ! Notre système social a de grands défis à relever : l’accès aux soins et la fin de vie, dont nous avons parlé, mais aussi le grand âge ou le tournant prévention. À l’image du reste, il faut une intelligence politique ; sinon, dans le meilleur des cas, ce sera un pis-aller…
Et vous, David Djaïz, où comptez-vous aller ?
Je suis essayiste, alors je continue à réfléchir et, à côté de ça, j’ai un projet entrepreneurial. Je me reconnais dans cet esprit de majorité de projet et je serais heureux qu’on y vienne, même si c’est dans des conditions difficiles. Je serais en ce sens ravi d’apporter ma contribution.
De quelle nature ?
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