L'impossibilité de dire adieu à ses proches pendant le Covid avait créé un traumatisme dans de nombreuses familles : un rapport remis ce 14 novembre au gouvernement appelle à inscrire dans la loi le droit de visite dans les Ehpad pour éviter que cette situation « inhumaine » ne se reproduise.
En mars 2020, l'épidémie de coronavirus conduit l'exécutif à prendre des mesures de confinement inédites à l'égard de la population dans l'espoir d'endiguer la propagation du virus et d'en limiter ses impacts notamment sur les populations les plus fragiles.
Les Ehpad sont confinés, les visites interdites, l'isolement en chambre sur incitation du ministère de la Santé se généralise. Des familles se voient refuser l'accès à leurs proches en fin de vie ou, quand l'interdiction est levée, ne peuvent les voir que de loin, à travers des vitres en plexiglas.
Un sentiment d'abandon
Les conséquences pour les résidents et leurs proches ont été « immenses », relève Laurent Frémont, enseignant en droit à Sciences Po Paris et l'un des co-auteurs du rapport « Liens entravés, adieux interdits » commandé par l'exécutif. Au terme de huit mois de travail, il a été remis aux ministres Aurore Bergé (Solidarités) et Agnès Firmin Le Bodo (déléguée chargée de l'Organisation territoriale et aux Professions de santé).
Chez les résidents, « on a pu observer un sentiment d'abandon, un repli sur soi, un refus de s'alimenter, et le syndrome de glissement », un état de détresse psychologique amplifié par l'isolement pouvant être fatal, développe le juriste et fondateur du collectif « Tenir ta main », qui défend le droit de veiller sur ses proches hospitalisés.
Pour les familles, « on a relevé des deuils traumatiques, des stress post-traumatiques, un sentiment très fort de culpabilité et d’abandon quand les adieux n’ont pas pu être faits ».
Une quinzaine de mesures
Au total, une quinzaine de mesures sont mises en avant, dont celle portant sur l'instauration d'un « droit absolu de recevoir » pour le résident. Une mesure d'autant plus urgente « qu'on constate encore aujourd'hui des restrictions de visites inappropriées », dénonce Laurent Frémont qui pointe dans certains établissements des plages horaires « très contraignantes » avec des visites possibles uniquement entre 14 heures et 16 heures.
S'appuyant sur des dispositifs d'ores et déjà en vigueur dans certains établissements, le rapport juge possible « de n'instaurer aucune limite horaire de visite » et de contrôler les entrées et les sorties via des codes et caméras.
En cas de crise, comme ce fut le cas lors du Covid, les restrictions doivent « être proportionnées, limitées dans le temps, motivées précisément » et « accompagnées de modalités alternatives de visite, afin de préserver les droits et éviter l’isolement. »
« Redonner un visage »
Le rapport a pris appui sur une centaine d'auditions de familles et de professionnels du secteur médico-social et des milliers de témoignages. Certains sont reproduits dans le document et donnent à entendre le désespoir, l'impuissance et la colère des familles.
« Elle est morte, seule, sans nous pour lui tenir la main », « Il est mort abandonné sur un lit d’hôpital, sans une présence pour lui dire je t’aime, merci, on est là avec toi », peut-on notamment lire. « Je n’ai pas pu revoir le visage de mon père, je suis passée d’une porte de Samu à un cercueil fermé ».
« Certains témoignages révèlent une sorte de barbarie, le fait d'interdire à un conjoint d'aller assister son proche en fin de vie alors qu’il la réclame, c’est quelque chose d’inhumain », souligne Laurent Frémont. « Il y a également eu des violations de liberté de conscience pour ceux qui demandaient l’accès aux rites funéraires, aux derniers sacrements en fin de vie ».
Former aux soins palliatifs et à l'accompagnement de la fin de vie
Parmi les autres mesures préconisées dans le rapport, figurent l'obligation de formation aux soins palliatifs et à l'accompagnement de la fin de vie dans les Ehpad ou encore la nomination d'un contrôleur général de lieux de grande vulnérabilité.
Le rapport appelle également à une reconnaissance officielle des manquements constatés via une journée de mémoire symbolique ou un lieu de recueillement spécifique pour « redonner un visage à ceux qui sont partis seuls ».
« C'est une manière de rendre hommage et faire en sorte que ça ne se reproduise pas », conclut Laurent Frémont, dont le père est « parti seul » il y a trois ans, en pleine épidémie Covid.
Pour le gouvernement, il s'agit de rétablir « l'alliance » entre proches et institutions. Aurore Bergé exprime la volonté du gouvernement dans un communiqué : « La semaine prochaine, l'examen de la proposition de loi sur le bien vieillir reprendra et par cette loi, nous consacrerons le droit de visite dans la loi comme Laurent Frémont le recommande. Le lien avec les proches, c'est le cœur de la vie : nous l'avons bien compris ». Ce à quoi abonde Agnès Firmin Le Bodo soulignant vouloir faire en sorte que ce droit dans la loi « puisse être mis en œuvre même en cas de situation critique ».
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